Chronique de novembre 2019

Bonjour,

Que lui arrive-t-il ?  demandai-je le mois dernier après que l’Islande ait été portée sur la « liste grise » des pays insuffisamment engagés dans la lutte contre le blanchiment d’argent, et rétrogradée de la 1ère à la 5ème place pour la place des femmes !  Le scandale de l’armateur Samherji est d’une toute autre ampleur, où l’on a acheté des ministres namibiens pour pouvoir surexploiter une ressource vitale pour la population de ce pays. « Pas grave  » disent Sigmundur Daví­ð Gunnlaugsson et ses amis du Parti du Centre. Est-ce pour cela que leur parti gagne trois points dans les sondages et talonne le Parti de l’Indépendance ?

Tel est le texte d’accompagnement à ma chronique de novembre ; pas très optimiste sur les réactions au scandale Samherji déjà évoqué ici, au point que le Président de Namibie en vient à se moquer de l’inertie des Islandais, alors qu’il a fait mettre six personnes en prison ! A suivre,

Bonne lecture,

Samherji : le mythe de l’Islande innocente est-il mort ?

… c’est en tout cas ce qu’affirme le 13 novembre à l’Alþingi Halldóra Mogensen, qui préside le groupe parlementaire du parti des Pïrates. Elle est immédiatement rejointe par Oddný G. Harðardóttir, puis par Hanna Katrín Friðriksson, ses homologues de l’Alliance Social-démocrate et de Redressement.  Seul de l’opposition, le parti du Centre de Sigmundur Davíð Gunnlaugsson ne parait pas troublé.

De quoi s’agit-il ?  Samherji, l’un des plus gros armateurs de l’île, aurait versé au moins 110 milliards d’Ikr (environ 900 millions d’€) à des intermédiaires locaux bien placés pour pouvoir pêcher à proximité des côtes namibiennes, au-delà des quotas autorisés par le gouvernement du pays. La source des journalistes de Stundin (journal en ligne) et Kveikur (cellule d’enquête de RÚV) est sure : Jóhannes Stefánsson, ancien responsable de Samherji en Namibie, qui se serait confié à Wikileaks et aurait fourni toutes les preuves nécessaires.

Dans un communiqué fielleux[1] du 12 novembre Samherji cite Þorsteinn Már Baldvinsson, son PDG et principal actionnaire : «nous avons été  déçus d’apprendre que Jóhannes Stefánsson, ancien responsable des opérations de Samherji en Namibie, a été impliqué  dans des pratiques contestables et a peut-être engagé Samherji dans des actions illégales », et rappelle que Jóhannes a été licencié en 2016. Þorsteinn Már annonce qu’il se met en retrait de ses fonctions « pour ne pas gêner les enquêtes ». Comme s’il était spectateur et ne portait aucune responsabilité dans l’affaire ?

Mais on apprend aussi que, non content de surexploiter jusqu’à épuisement une ressource vitale pour le peuple namibien, Samherji n’en a pas non plus fait profiter les Islandais puisqu’une large partie de ses gains a été transférée aux Îles Marshall par l’intermédiaire d’une banque norvégienne et a servi à payer les salaires des équipages de chalutiers opérant en Namibie, mais aussi sur les côtes marocaines, mauritaniennes ou encore angolaises !

Innocence perdue ?  La question n’est pas nouvelle, déjà posée par exemple dans le the End of Iceland’s Innocence, paru en 2010, où le politologue canadien Daniel Chartier fait une très intéressante étude de la  presse, islandaise et étrangère, au moment de la crise financière de 2008. Elle est à rapprocher du rapport du GAFI ayant conduit l’Islande sur la « liste grise » (voir mon article à ce propos sur ce blog). « Et si, demande Indriði H. Þórlaksson, ancien chef du service des impôts, sur le site de Stundin, notre apparition sur la « liste grise » ne venait pas seulement d’une négligence des services en charge ?« 

Cet article est rédigé dans un pays, la France, où l’on juge au mieux naïf de vouloir faire quelque commerce que ce soit avec les pays africains et d’autres sans acheter très cher les « conseils » d’intermédiaires locaux. Mais en Islande on en parle !!!  Si l’innocence est perdue – pourquoi les Islandais devraient-ils être plus innocents que d’autres ? – les réactions que je cite montrent qu’ils ont su garder leurs exigences et leur candeur. A ce jour !

[1] Voir site en anglais de l’armement. Lire aussi la page history de ce site qui répertorie les principales étapes d’une aventure


« Miss Islande », prix Médicis Étranger

Vite, vite, Auður Ava Ólafsdóttir vient d’obtenir le Prix Médicis Étranger avec Miss Islande (Ungfrú Ísland), traduit par Éric Boury.

C’est en effet un bien beau livre, auquel j’ai été personnellement d’autant plus sensible qu’il m’a rappelé mes années d’étudiant à Reykjavík !!!

Comment on met dans un avion une femme enceinte de 36 semaines !

La photo ci-contre fait le tour de l’Islande, et l’affaire fait grand bruit : dans la nuit du 4 au 5 novembre une femme albanaise a été expulsée avec son compagnon et leur fils de 2 ans alors qu’elle était enceinte de 36 semaines !  Pour la police et l’Office de l’immigration, tout a été fait dans les règles, en accord avec un médecin associé à l’office – que la femme dit n’avoir jamais rencontré ! -. Pourtant au moment de partir elle a été autorisée à aller à l’Hôpital Central car elle saignait du nez. Un certificat été délivré, autorisant un voyage aérien de courte durée. En fait son voyage a duré 19 heures, car la famille a dû changer d’avion à Berlin et à Vienne. A Tirana, ils ont été accueillis par la police.

Les réactions sont violentes : Hallgrímur Helgason, que les francophones connaissent pour La Femme à 1000° et Le Grand Ménage du tueur à gages, demande la démission du Ministre de l’Intérieur, du Chef de la police et du Directeur de l’Office de l’immigration : «vous avez failli ;  nous ne sommes pas satisfaits de cette Islande-là ». Le polémiste Bragi Páll Sigurðarson publie un brûlot dans le journal Stundin sous le titre « Tous ont fait leur travail » . « La police a fait son travail, laissez-la en paix. Elle reçoit des ordres et doit les exécuter. (…) l’Office de l’immigration a fait son travail, laissez-le en paix. Il ne fait qu’appliquer les règles.(…). Une femme enceinte de 9 mois fait son travail, son corps épuisé avec un autre petit corps à l’intérieur (…). Comme l’enfant de 2 ans. Il fait son travail : être un enfant de 2 ans. Mais au lieu de dormir chez lui en sécurité, il est tiré de son lit, conduit à l’aéroport et expulsé du pays par une police qui fait son travail selon des instructions données par l’Office de l’immigration qui ne fait que son travail, conformément à des règles définies par l’Alþingi, dont les membres ne font que leur travail. Ce n’est la faute de personne (…). »

Très vite la charge devient politique. Politique de la part de l’Église luthérienne, dont l’évêque Agnès demande des explications à Áslaug Anna, ministre de l’intérieur, trop heureuse de répondre aux récentes critiques de cette dernière[1]. Politique évidemment de la part des partis d’opposition qui trouvent ces méthodes inhumaines et ont l’intention d’en saisir l’Alþingi. Pour Brynjar Níelsson, député du Parti de l’Indépendance, l’affaire est regrettable, mais il ne comprend pas pourquoi elle devrait prendre un tour politique.

Katrín, première ministre, voudrait que les règles soient clarifiées. Áslaug Anna se dit satisfaite des explications de Þorsteinn Gunnarsson, directeur de l’Office de l’immigration. Et la page tourne…


[1] Áslaug vient d’annoncer sa volonté de complétement supprimer les liens de l’Église Luthérienne, dite « nationale », avec l’État