L’Islande et l’innocence

L’OCDE le dit : les autorités islandaises ne font pas suffisamment d’efforts pour maitriser la corruption et promouvoir l’intégrité au sommet de l’État. Voici qui surprendra ceux qui, comme l’auteur de ces lignes, ne manquent pas une occasion de vanter l’honnêteté et le respect des règles qui caractériseraient la vie sur leur île favorite. Pourtant les exemples sont nombreux : crise financière de 2008 où le monde découvre que l’habileté de quelques banquiers et leurs amis s’affranchissait allègrement des règles régissant leur activité ; puis ce sont les Panama Papers où s’illustrent le Premier Ministre d’alors, Sigmundur Davíð Gunnlaugsson et bien d’autres de ses concitoyens, le scandale Samherji[1] et les pots de vin versés aux autorités namibiennes pour l’octroi de quotas de pêche au détriment des pêcheurs locaux contraints à l’exil… Et d’autres affaires qui illustrent une compréhension « habile » des règles internationales ou de leur absence. Mais il y a aussi en interne de nombreux cas de complaisance, par exemple dans les nominations aux postes les plus élevés de l’administration, malgré les précautions en vigueur. Enfin, une séparation peu claire des pouvoirs judiciaires et exécutifs peut entraîner des abus de pouvoir, conduisant dans les cas les plus sensibles à la démission de ministres, telle celle de Sigríður Andersen à propos d’une méthode très personnelle pour nommer les juges à la nouvelle cour d’appel.

L’Islande, habituée aux sommets de tous les classements sociétaux et artistiques s’est ainsi trouvée, à sa grande surprise, associée à des états peu recommandables pour être épinglée par divers organismes internationaux publics ou associatifs, telle la Cour Européenne des Droits de l’Homme dans le cas de Sigríður, ou en fâcheuse compagnie sur la liste « grise » du Groupe d’Action Financière répertoriant les pays insuffisamment actifs contre le blanchiment d’argent.

Le gouvernement islandais a engagé immédiatement les actions nécessaires pour sortir au plus vite de la liste grise du GAFI et y est parvenu dès novembre 2020, peut-être parce qu’il y allait des relatons commerciales de l’île. Il est beaucoup moins rapide pour ce qui concerne la corruption et la complaisance dans ses propres sphères, et c’est ce que lui reproche le GRECO (Groupe d’États contre la Corruption) de l’OCDE : sur une liste de 18 recommandations rendues publiques le 12 avril 2018, seules quatre ont été mises en œuvre de manière satisfaisante, sept partiellement, et sept pas du tout, notamment celles concernant les fonctions coercitives telles la police et les garde-côtes.[2]

Innocence perdue ?

Ces quelques pistes de réflexion n’engagent que leur auteur, et d’abord celle-ci :  pourquoi les Islandais devraient-ils être plus innocents que le reste de l’humanité ?  Et l’ont-ils été au cours des siècles ?  Très peu nombreux sur leur grande île, exposés à toutes agressions, humaines ou naturelles, leur vie a été précaire, très dure, pleine de vicissitudes, à laquelle ils ont dû faire face par tous moyens à leur disposition, innocents ou non, appuyés sur une indéfectible solidarité entre eux.

Mais il y a aussi des spécificités :

  • leur faible nombre (100000 en 1926 !) les expose au cousinage, que d’ailleurs ils revendiquent volontiers, donc à passer facilement de la solidarité au favoritisme et à la complaisance plus ou moins intéressée,
  • pour lutter contre la pauvreté et la colonisation, certains se sont avérés de redoutables commerçants notamment à partir du début du XIXème siècle, et il semble que cette culture de l’échange et la spéculation ait ruisselé sur une grande partie de la population, y compris après la crise de 2008, au point qu’il est aujourd’hui très compliqué de savoir à qui appartient l’Islande, même si certains noms et certaines familles apparaissent très souvent : les 5% les plus riches posséderaient 40.1% des richesses de l’île[3],
  • devenus souverains et appelés à négocier avec de grands états, ils ont souvent mis en avant leur faible nombre, et le coût très faible d’éventuelles concessions, pour faire avancer leurs intérêts.

Tout est bon pour valoriser les succès de la communauté islandaise, y compris de fermer les yeux sur ce qui gêne, surtout quand cela vient de l’étranger, cour de justice ou ONG trop curieuse, qui évidemment ne comprennent rien aux spécificités islandaises !

Il n’est pas anodin non plus que pris dans certains des scandales cités plus haut, et bien d’autres, on retrouve souvent des dirigeants ou sympathisants du Parti de l’Indépendance et du Parti du Progrès, soit les deux mouvements politiques les plus anciens de l’île, presque toujours au pouvoir. Et c’est peut-être aussi ce qui explique l’extraordinaire lenteur de la police et de la justice à s’emparer de ces affaires, faute de moyens ou d’envie, et la mauvaise humeur, même diplomatique, du GRECO de l’OCDE…


[1] Voir ma chronique de novembre 2019

[2] À ceux que le fonctionnement de l’état islandais intéresse, je recommande la lecture de ce rapport – 16 pages en français – très illustratif des précautions existant déjà…  et de celles qui manquent

[3] ma source est le ministère des finances, dont le ministre, Bjarni Benediktsson, aussi président du Parti de l’Indépendance, est issu de l’une des familles les plus riches et puissantes de l’île !

Chronique islandaise – novembre 2020

Bonjour,

Toujours Covid… mais aussi une alliance gouvernementale que l’on croyait improbable et qui fête ses trois ans, une réforme constitutionnelle vraiment improbable, et comme (presque) chaque année une nomination aux Grammy Awards.

Et Noël, que je souhaite à tous aussi festif que possible !

Bonne lecture,

Michel Sallé

PS : je rappelle à celles et ceux qui reçoivent simultanément ma chronique et un avis de nouvel article sur ce blog que je peux les désinscrire de la chronique afin de ne pas encombrer leur boite mèl !