Le gouvernement islandais et sa constitution

Nous sommes le 21 novembre, soit près de 2 mois après les élections législatives, et toujours pas de programme gouvernemental ni de gouvernement pour l’appliquer. Cela, pourtant, semblait simple : la majorité au pouvoir avait progressé d’une majorité étriquée de 35 députés sur 63, ensuite réduite à 33 après la dissidence de deux députés de la Gauche Verte, à 37 puis 38 élus par l’apport au Parti de l’Indépendance d’un député soucieux de régler ses comptes avec le Parti du Centre. Et il n’y avait pas de majorité alternative !

Officiellement tout est prêt, ou presque. Manque seulement la confirmation officielle des résultats après l’erreur de comptage rocambolesque ayant conduit au remplacement de 5 député(e)s, dont trois femmes, par 5 autres tous mâles.

Mais est-ce si simple ?  Car la victoire de la majorité mérite une précision : il n’y a eu qu’un vainqueur, le parti du Progrès, qui progresse de 8 à 13 sièges. A l’inverse, la Gauche Verte, que préside la Première Ministre, tombe de 11 à 8 sièges. Pour sa part, le parti de l’Indépendance doit se satisfaire d’avoir préservé sa place de premier parti de l’île après des années d’érosion.

Ce que l’on entend : Katrín Jakobsdóttir, toujours très populaire, resterait Première Ministre. La victoire du parti du Progrès serait « récompensée » par la création d’un ministère supplémentaire et des transferts de compétences. Pour ce qui concerne le programme, seraient repris des projets abandonnés lors de la précédente législature, tel le Parc National des Hautes Terres, et abordée au fond la politique de santé dont les insuffisances ont été crûment exposées par la grâce de Covid.

Par contre on n’entend rien à propos de la réforme constitutionnelle !  Pourtant les marchandages en cours montrent combien elle devient nécessaire !  Le système islandais est un système parlementaire classique dans lequel un gouvernement constitué d’une alliance de partis met en œuvre un programme négocié en début de législature pour la durée de celle-ci. Ce système a pu fonctionner lorsqu’il n’y avait que quatre partis présents au parlement. Avec huit partis, la composition d’une majorité est beaucoup plus difficile, et donc la négociation du contrat de gouvernement, avec trop souvent l’évacuation des sujets les plus clivants. De plus, en Islande, les partis au pouvoir se comportent comme les propriétaires exclusifs des ministères dont ils ont pu s’emparer. Le ou la Premier(e) Ministre(e) n’a donc aucune autorité sur les ministères non détenus par son parti. Tout au plus peut-elle(il) proposer des compromis en cas de conflit. La position devait être particulièrement malaisée pour Katrín Jakobsdóttir qui préside un parti à l’aile gauche du gouvernement, face à deux partis réputés conservateurs. Elle a été aidée par son autorité personnelle et par la place qu’elle a su prendre, femme et verte, pour promouvoir la notoriété de son île, au risque de faire de l’ombre au Ministre des Affaires Étrangères. De plus ses deux « alliés » voulaient eux aussi le succès du gouvernement. Mais les nombreux compromis qu’elle a dû accepter expliquent largement la déconfiture de son parti.

Il n’empêche qu’une majorité ainsi construite ne peut proposer au citoyen islandais cette vision à long terme qu’il réclame, et sur laquelle il aimerait pouvoir se prononcer, notamment pour ce qui concerne la place de son île dans le monde.

Des solutions ?  Elles ne peuvent venir que d’une réflexion d’ensemble, celle qu’avait entamée la Commission Constitutionnelle créée en 2010 et qu’il faudrait approfondir plus encore. Pêle-mêle et sans exhaustivité, pour ce qui concerne les institutions :

  • à quoi sert ce président élu au suffrage universel, sans pouvoir autre que celui de s’opposer aux lois qui lui déplaisent, à l’instar des rois danois ? S’il doit représenter son pays à l’étranger, ne peut-il pas aussi avoir un pouvoir de négociation dûment encadré ?
  • comment faire pour la(le) Première(er) Ministre(e) soit un(e) véritable « chef(fe) de gouvernement » ?
  • il est évidemment souhaitable que l’Alþingi reflète le mieux possible la composition et les opinions des électeurs islandais, mais la concentration autour de la capitale ne risque-t-elle pas d’entraîner l’oubli du reste de l’île ?
  • pourquoi les ministres restent ils députés ? Par souci d’économies ?
  • est-il sain que le même ministre coiffe à la fois la justice et la police ?
  • et bien sûr apporter une réponse sérieuse à cette demande maintes fois entendues de « démocratie directe », qui est en fait l’organisation de consultations dès que des pétitions réunissent un nombre suffisant de signatures !

Voyons ce que nous proposera le gouvernement à venir… S’il le fait !

4 réponses sur “Le gouvernement islandais et sa constitution”

  1. Je découvre votre Blog (un peu tard !). Votre percutante et succincte analyse du régime islandais augure de la qualité des textes futurs. Merci !

  2. Cette réforme constitutionnelle devient urgente, dans la mesure où les équilibres internationaux habituels sont totalement bouleversés, pour deux raisons essentielles : le rôle de la Chine, et surtout la nécessité pour l’Islande de protéger ses eaux territoriales arctiques. Avec le réchauffement climatique, ces eaux habituellement gelées sont actuellement facilement accessibles, et la Russie a déjà fait l’objet de deux (au moins) « rappels à l’ordre ». Souvenons-nous également de Trump et de ses désirs d’achat (du Groenland et du nord de l’Islande), officiellement pour avoir un terrain de golf supplémentaire !!!!! Autrement dit, l’Islande, qui n’intéressait pas grand monde au niveau international, est devenu une plate-forme intéressante en raison de sa situation géographique.
    Ces enjeux internationaux peuvent nécessiter des prises de décision rapides, ce qui ne me semble pas être vraiment le cas avec le système actuel.
    Attendre deux mois pour avoir un gouvernement, cela devient ingérable.

  3. Un article toujours très intéressant et avec pleins de choses qu’on apprend. Merci à toi et un peu comme la Belgique, des élections faites et un gouvernement qui se fait attendre.

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