Pour cette première chronique de l’année, très peu de politique, moins encore d’économique, réservé pour février, mais du social/sociétal de toute sorte… Et pour l’ouvrir, du sport !!!
Je vous en souhaite bonne lecture, et de nouveau, une très bonne année 2022.
Dans cette campagne électorale française où l’on ne peut saisir une bribe de programme, généralement insipide, qu’entre une multitude d’invectives, voici que me parvient un petit livre rafraichissant, « Memo sur la nouvelle classe écologique » des philosophes Bruno Latour et Nikolaj Schultz. Ses auteurs y reprennent des idées déjà exprimées par Bruno Latour et d’autres, et que ce dernier résume ainsi : « extraire le monde où l’on vit du monde dont on vit » et cesser de reconnaître la production comme l’unique critère du progrès. L’idée n’est pas nouvelle ; elle est apparue officiellement dès 1987 sous le nom de « Sustainable Development » – improprement traduit par Développement Durable -dans un rapport onusien rédigé sous la responsabilité de la Norvégienne Gro Harlem Brundtland. Rappelons sa définition :« le développement durable est un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs ».
Et Bruno Latour de s’interroger : pourquoi une idée aussi ancienne, largement reconnue comme fondamentale pour l’avenir de notre monde, ne parvient à rien d’autre, en France en tout cas, que « réussir l’exploit de paniquer les esprits et de faire bailler d’ennui ». Il manquerait selon lui une expression politique entrainante. Et il propose de rassembler l’ensemble écologique dans le concept d’ « habitabilité » de notre planète pour tous les vivants, où toute décision devrait être prise à l’aune de cette habitabilité, et non, comme aujourd’hui, selon son effet immédiat sur le PIB.
Alors dans ce blog, la question vient immédiatement : l’Islande est-elle « habitable » ? Selon la météo de ce 20 janvier, la réponse est non : neige, vent soufflant à 70km/h, et température autour de 0° ! Pourtant 370000 personnes y vivent, dans une relative prospérité. Et ils se sont forgés une image de sensibilité à l’écologie grâce notamment à la disponibilité d’une énergie largement renouvelable et une inlassable promotion de la Première Ministre Katrín.
Bruno Latour ne dit rien des critères de l’habitabilité, s’en remettant semble-t-il à l’appréciation des êtres concernés. Mais il en est un qui est évident en Islande : le sentiment de copropriété de leur île par ses habitants et donc de co-responsabilité dans sa préservation.
Je l’ai écrit à plusieurs reprises : depuis la colonisation, les Islandais forment une communauté, soit un groupe de personnes conscientes que le partage des ressources est indispensable à leur survie. Mais ils se sentent aussi très vulnérables, et cette vulnérabilité les renvoie sans arrêt à la préservation de leur île dont ils admirent à la fois la beauté et la puissance, bien qu’il lui arrive d’être menaçante, voire dangereuse. Donc cette « superposition entre un monde dont on vit et un monde où l’on vit » que souhaitent nos philosophes paraît exister en Islande. Il est aisé de comprendre qu’elle vient d’un passé où les siècles de misère ont été nombreux, pendant lesquels les Islandais n’ont pu survivre qu’en associant solidarité et ingéniosité, et dans le respect d’un pacte social fort.
Mais l’habitabilité résistera-t-elle à la prospérité d’aujourd’hui ? Les maisons sont chauffées à 25° et refroidies en ouvrant les fenêtres, les transports publics, locaux ou grandes lignes, ne sont utilisés que par les touristes étrangers, les moteurs de gros 4×4 tournent devant les magasins pendant que leurs propriétaires font leurs achats… Les exemples pullulent de gaspillages par négligence. Certes la mode est aux Teslas, mais s’agit-il de préserver le monde où l’on vit ou de s’y montrer ? En tout état de cause il faudra construire de nouveaux barrages pour en assurer la circulation !
Et l’expression politique ? La Gauche Verte de la Première Ministre a subi le 25 septembre une lourde défaite et cette dernière n’a pu garder sa place qu’en acceptant de nouveaux compromis, notamment abandonner l’environnement à un ministre du Parti de l’Indépendance qui l’a perçu comme une dégradation.
Par contre Sigurður Ingi Jóhannsson, Président du Parti du Progrès, et incontestable vainqueur du scrutin, a créé pour lui le titre de « Innviðaráðherra » dont la traduction pourrait s’approcher de ministre de l’Habitabilité, supervisant les communications, les transports et les grandes infrastructures, ainsi que les relations avec les collectivités territoriales, en Islande très puissantes et autonomes. Soit tous les leviers nécessaires pour promouvoir une écologie de terrain. Une nouvelle mue pour le plus ancien parti d’Islande, longtemps qualifié de parti agrarien ?