Le 5 mars Baldur Þórhallson, professeur de sciences politiques à l’Université d’Islande, jette un pavé dans la mare : « la présence d’une armée en Islande pourrait dissuader des ennemis de l’envahir ». Las, la mare tremble peu. Tout au plus relève-t-on que, selon un sondage Gallup du 14 mars, l’opposition à l’adhésion à l’OTAN passe de 13% (2001) à 9%, alors que les opinions favorables restent au même niveau de 75%.
C’est l’occasion de faire le point. Traditionnellement les Islandais se veulent un peuple pacifique. Mais ont-ils d’autres choix ?
Une des caractéristiques, extraordinaire, de la colonie créée à partir de 874, date officielle, est l’absence de pouvoir exécutif : ni roi, ni armée. Chaque colon défend son territoire avec l’aide éventuelle, grassement rémunérée, du goði auquel il a fait allégeance. Mais l’île est largement ouverte, d’autant plus difficile à défendre que très vite manque le bois nécessaire à la construction de bateaux. La soumission aux rois de Norvège puis de Danemark n’y change rien. L’île est régulièrement visitée par des bateaux venus y faire du commerce. L’abordent aussi des pêcheurs et chasseurs de baleine en manque de vivres, qui ne sont pas toujours accueillis de manière très amicale par des habitants eux-mêmes faméliques. La question de la défense de l’île est brutalement posée en 1627 lorsque quatre navires venus d’Afrique du Nord sèment la terreur en plusieurs lieux, notamment Vestmannaeyjar, dont ils capturent plus de 250 habitants pour en faire des esclaves et en tuent 30 à 40. Mais la question reste sans réponse. Celle-ci d’ailleurs dépend du roi, auquel les Islandais paient l’impôt. Mais on entend aussi, déjà, la fierté d’être un peuple pacifique vivant sur une île ouverte.
Cette fierté est évidemment mise à mal lorsque le 10 mai 1940, sans même avoir prévenu les autorités locales, 28000 Britanniques occupent l’île pour que les Allemands ne le fassent pas. Ils sont remplacés en juillet 1941 par deux fois plus d’Américains qui promettent de partir dès la fin des hostilités. Promesse qu’ils ont du mal à tenir, et qui conduira en 1949 à l’adhésion de l’Islande à l’OTAN malgré de violentes manifestations. L’armée américaine part puis revient sur la base de Keflavík, et elle la quittera en septembre 2006 par souci d’économie et en dépit d’un accord renouvelé peu auparavant par lequel un tel départ ne pouvait avoir lieu que si les deux parties y consentaient.
Violents, les Islandais le deviennent entre 1952 et 1975 lorsqu’il s’agit, non de défendre, mais d’étendre leurs zones de pêches jusqu’à 200 milles marins. Ils font alors preuve d’un art consommé de la bataille navale, au point que la Royal Navy doit abandonner la partie estimant que la défense de quelques chalutiers écossais lui est trop coûteuse.
Aujourd’hui l’adhésion à l’OTAN se manifeste par le stationnement à Keflavík, à tour de rôle, de quelques avions envoyés par des pays de l’Alliance ; et bien évidemment la participation de Þórdís Kolbrún Reykfjörð Gylfadóttir, tout à la fois ministre des Affaires Étrangères et de la Défense, à toutes les réunions de l’Alliance, ainsi qu’à celles du Conseil Nordique.
Partis de manière très cavalière en 2006, les Américains semblent aujourd’hui regretter leur décision. Il s’agissait alors de prendre acte du fait qu’à l’ère des armes modernes une tête de pont au milieu de l’Atlantique ne leur était plus nécessaire. Depuis lors l’océan Arctique est devenu objet de convoitises tant pour ses ressources que comme lieu de passage.
Mais l’agressivité des Russes justifierait elle leur retour en force ? C’est ce que semble souhaiter Baldur, pour qui quelques régiments, non seulement à Keflavík, mais aussi en certains lieux jugés stratégiques de l’île, pourraient avoir un effet dissuasif.
L’idée est balayée d’un revers de main par Albert Jónsson, ancien ambassadeur aux États-Unis et spécialiste des questions de défense. Si dans l’hypothèse d’une 3ème guerre mondiale les Russes voulaient détruire la base de Keflavík, ils enverraient plus volontiers un missile balistique qu’un sous-marin. À quoi servirait une poignée de soldats ?
Donc on ne change rien. Tel est le discours du gouvernement, approuvé, comme le montre le sondage cité plus haut, par les îliens.
Curieusement, selon ce même sondage, c’est l’opinion à l’égard d’une éventuelle adhésion à l’UE qui évolue le plus : de 59% en 2010, le nombre de personnes hostiles à cette adhésion tombe à 33%, alors que 47% lui sont favorables contre 26% en 2010. Cette fois, Bjarni Benediktsson, président du parti de l’Indépendance et ministre des Finances, sort de son silence pour s’agacer : est-ce vraiment le moment de ressortir cette question alors que tout va si bien ?