Dans mon article sur ce sujet la question était posée : cette résurrection est-elle réelle, sera-t-elle durable ?
Réelle ? Cela paraît évident si l’on considère les résultats des dernières élections. Élections législatives où ce parti passe de 10.7 à 17.3% des suffrages exprimés, alors que ses deux alliés au gouvernement perdent des voix. Ou encore élections locales où il passe de 8.5 à 18% au niveau national, avec une percée spectaculaire à Reykjavík (de 0 à 4 sièges sur 23). Et la tendance est confirmée par le sondage Gallup de fin mai (voir tableau ci-dessous), où le Framsókn est à 17.5%, le parti de l’Indépendance à 20.1%, la Gauche Verte à 8.1% et le parti du Centre à 4.3%.
S’agit-il uniquement d’un phénomène de vases communiquants entre le Framsókn et le parti du Centre créé par Sigmundur Davíð Gunnlaugsson après son retrait du premier ? Il est vrai (voir tableau joint à mon premier article) que l’addition des deux partis en 2017 et 2022 est stable à environ 22%. Il y a donc bien un « retour à la maison ». Mais on peut aussi supposer que les gains du parti du Peuple (de 6.9 à 8.8%) sont partiellement dus à des électeurs transfuges du parti du Centre, et que par contre le Framsókn a dû prendre des voix à ses deux alliés. Il y aurait donc bien un double mouvement dont le solde est une progression,
Voyons les vases communiquants. Nommé Premier ministre le 23 mai 2013 après une victoire sans précédent aux élections législatives, Sigmundur Davíð perd rapidement du terrain malgré des discours et quelques mesures très démagogiques. Un an plus tard son Framsókn est en dessous de 14%. Et voici qu’en mars 2016 un mot provoque sa chute : « Wintris » du nom d’un fonds basé aux îles Vierges dont il est le propriétaire avec son épouse, et dont l’existence est révélée par les Panama Papers. Dans un premier temps, il se met « en retrait » du gouvernement. Son interim est assuré par Sigurður Ingi Jóhannsson, vice-président du Framsókn, alors considéré comme le fidèle d’entre les fidèles, en attendant des élections prévues pour octobre 2016. Entre temps, à la surprise générale, Sigurður Ingi s’avère un premier Ministre très consensuel et sait remettre du calme dans son parti. Le 2 octobre 2016 au congrès du Framsókn, l’homme à qui Sigmundur Davíð avait confié les clés du parti s’oppose à lui et est élu président avec 370 voix contre 329. La faiblesse de l‘écart montre combien Sigmundur Davíð, malgré sa malhonnêteté et un discours arrogant et diviseur est resté populaire dans son parti. C’est pourquoi de nombreux cadres le suivent lorsqu’il quitte le parti et, le 15 octobre 2017, fonde un mouvement, curieusement appelé parti du Centre (Miðflokkur). Il était temps : à la suite d’une nouvelle crise gouvernementale des élections ont lieu le 28 octobre où le nouveau parti tout juste créé fait jeu égal avec l’ancien (10.9%/10.7%). On peut s’inquiéter pour le Framsókn, maintenant au gouvernement avec la Gauche Verte de la première Ministre Katrín Jakobsdóttir et le parti de l’Indépendance.
Et en effet rien ne semble empêcher la progression du parti du Centre, même les propos nauséabonds de ses dirigeants sur leurs collègues femmes enregistrés à leur insu le 20 novembre 2018 dans un café de Reykjavík appelé « Klaustur ». Selon les sondages l’audience des deux partis ne se rééquilibre que dans le courant de 2020, à un niveau inférieur à 10%. Et ce n’est qu’au début de 2021 que l’écart se creuse pour aboutir au résultat mentionné dans le tableau.
Que s’est-il passé ?
Du coté du parti du Centre :
- un discours de plus en plus radical – trumpiste – et confus de Sigmundur Davíð Gunnlaugsson et ses députés à l’Alþingi, qui ne semblent avoir d’autre objectif qu’occuper la tribune le plus longtemps possible,
- un populisme vindicatif opposé à celui que porte Inga Sæland et son parti du Peuple, attentif aux personnes en difficulté quitte à proposer des solutions bien démagogiques.
Du coté du parti du Progrès :
- Sigurður Ingi sait profiter de la position centrale de son parti dans l’alliance au pouvoir depuis 2017, alors que ses deux alliés, à droite et surtout à gauche, se voient reprocher par leurs sympathisants les concessions nécessaires au maintien de l’alliance,
- il convient d’y ajouter la posture très « bonhomme » et sécurisante de cet homme de 60 ans venu du monde paysan, même s’il s’est lui aussi laissé aller à un écart de langage bien fâcheux (voir cet article ),
- ce positionnement d’écoute et d’arbitre est d’autant plus aisé que les trois autres ministres occupent des portefeuilles très « sociaux » – éducation, affaires sociales et santé – où ils savent notamment montrer leur sensibilité aux situations générées par le Covid.
Voici le parti du Progrès réinstallé à la place qu’il a presque toujours occupée dans l’histoire politique islandaise, la seconde derrière le parti de l’Indépendance dont il a souvent été l’allié pour éviter l’arrivée de la gauche au pouvoir. Mais la situation actuelle est différente : l’audience de ses deux alliés au gouvernement continue de s’effriter à son profit. Dans le cas, de plus en plus vraisemblable, où cette alliance éclaterait il peut diriger une solution alternative associant les trois principaux partis de l’opposition, ou leur être associé, sous réserve que ne soit pas abordé le sujet de l’adhésion à l’UE à laquelle il reste hostile.
Mais peut-il (re) construire une offre propre ?
Il se dit « parti de la coopération et de la liberté », centriste mais à l’écoute de tous (je paraphrase Sigurður Ingi). Paradoxalement, un premier atout est son ancienneté : il a été présent dans tous les combats pour défendre l’indépendance de l’île, et ceci peut rassurer des Islandais, grand ouverts au monde mais pas prêts à accepter leur dilution dans celui-ci. Il a été aussi le parti des coopératives, et même si celles-ci ont disparu, l’idée de coopération reste consubstantielle de l’identité islandaise et est encore présente dans la vie quotidienne. Ainsi les premiers mots de Einar Þorsteinsson, tête de liste Framsókn à Reykjavík, sont pour regretter les zizanies dans l’ancien conseil municipal.
Voici pour le passé ; mais l’avenir ? Lors de l’organisation du nouveau gouvernement Sigurður Ingi a beaucoup insisté pour la création sous sa responsabilité d’un « Innviðaráðuneyti », traduit le plus souvent par ministère de l’Infrastructure. Il associe les transports, et les systèmes et installations sous-jacentes, les communications, les relations avec les collectivités territoriales et la gestion de l’état-civil et du cadastre. Le 16 juin, le Framsókn fait voter un plan à 3 ans d’aménagement du territoire, destiné à limiter la migration vers la capitale, et qui aborde aussi bien les infrastructures que les services publics et le développement de la démocratie locale. Y sont associés tous les ministères, les collectivités territoriales et les nombreuses associations concernées. Vise-t-il à les entraîner vers cette « Habitabilité » évoquée dans l’un de mes articles (voir cet article) ?
Le terrain politique Islandais est à l’évidence plus fluctuant (instable ?) que je l’imaginais… Je vais reprendre vos excellents articles chronologiquement, celà devient nécessaire !