Chronique islandaise – juillet-août 2022

Bonjour,

L’été islandais a été froid et pluvieux, une onde sismique a traversé les 120  km du Faxafloí pour venir secouer – délicatement ! – la quiétude de Hvammur (sud du Snæfellsnes) et m’annoncer l’éruption volcanique du lendemain, les fêtes de l’été ont été des succès, et l’inflation a atteint 10%. L’Islande est donc encore l’Islande, ainsi que les Islandais.

C’est ce que j’essaie de relater ici. Voir aussi mes derniers articles de blog à ce propos.

Bonne lecture ,

Michel

 « Nous ne voulons pas de cette Islande là ! » ( suite)  : le changement ?

Jamais un article de mon blog n’a eu tant de succès, dû certainement au titre plus qu’à son contenu. Car les réactions sur le blog et reçues directement m’ont alerté. On me parlait surtout de changements, motivés par un goût de plus en plus prononcé pour le lucre… Mais avait-on compris que mon titre paraphrasait Hildur Hermóðsdóttir, citée dans l’article pour son combat contre la reforestation, connue aussi pour avoir participé dans sa jeunesse à la destruction d’un barrage hydroélectrique censé être un obstacle pour les saumons, préfigurant ainsi Halldóra Geirharðsdóttir dans « Woman at War » ?   Et que cette « Islande là » est celle qui renonce à son identité et à ses valeurs, non à l’immobilisme ?

 Alors parlons de changement, lucratif ou non.

« Les Islandais habitent la plupart dans des grottes (…) sont fort laids et leurs femmes aussi. Tout leur travail est la pêche, sont sales, incivils, brutaux et presque tous sorciers. (…) Ils sont si experts en l’Art Magique qu’ils vendent (aussi) le Vent aux navigateurs pour aller où bon leur semble » (Pierre Martin de la Martinière – Voyage des pais septentrionaux – Paris 1671

Sales et laids mais déjà commerçants, les Islandais ont-ils eu tort de vouloir sortir de leur misère ?  Et pour ce faire de tirer parti de leurs ressources d’alors, le poisson et le vent, et leur connaissance de l’Art Magique ?

L’île provoque une sorte de « coup de foudre » chez de nombreux visiteurs, qui ensuite regrettent qu’en évoluant elle s’éloigne de leurs premières impressions. Et ils reprochent à ses habitants de dévoyer le modèle qui leur a tant plu, oubliant, volontairement ou non, que la survie sur leur île est aujourd’hui encore au cœur des choix de ses habitants, avec parfois des excès.

l’auteur et l’énergie vitale

Pour ma part, arrivé pour la première fois en 1964 sur les traces de Jules Verne, j’ai eu la chance d’être d’abord déçu : premières impressions avec les baraques de l’aéroport de Reykjavík, encore international, puis crachin sur des murs gris et des rues quasi désertes alors que, mon sac à la main, je cherchais un hébergement et un repas. Au prix de ces derniers j’ai immédiatement compris que Jules Verne devrait attendre !  Dès le surlendemain je découpais des filets de poisson dans une usine de Reykjavík (aujourd’hui un musée !) et disposais d’un lit (?) dans un vieil atelier ; et découvrais immédiatement dans cette usine ce qui allait être l’essentiel selon moi : l’énergie vitale d’une communauté, que j’associerai plus tard à l’espace !  Je découvris aussi mon besoin de comprendre cette communauté et d’y revenir.

L’espace intellectuel, que je lie au besoin d’espace physique (importance de la vue lorsque l’on construit une maison !), invite à l’exploitation de la moindre opportunité, trouvée dans de bien maigres ressources physiques et que l’on tente aujourd’hui d’enrichir par des ressources intellectuelles de très haut niveau. En Islande toute nouvelle idée est accueillie comme un moyen de mieux assurer et pérenniser la survie de la communauté sur son île et/ou de contribuer à la connaissance ou la reconnaissance de son existence dans le monde, elle si petite et facilement oubliée. A l’inverse cette communauté, volontiers ouverte, se fermera comme une huitre face à toute atteinte, réelle ou supposée, à son indépendance et/ou à ses ressources – ainsi de l’affaire Icesave, ou du troisième Paquet de l’Énergie de l’UE (voir ma chronique de novembre 2018 et cet article de mon blog) – ; et elle entrera dans d’extraordinaires psychodrames collectifs, comme s’il lui fallait avoir peur ensemble pour tester sa solidité.

Kaffivagninn voici 50 ans…

Dans les années 60 Reykjavík était une ville le plus souvent sinistre, qui ne s’animait, en version chancelante, que le samedi soir, et où n’existaient que deux restaurants abordables pour moi, la Cantine du Port et, les grands jours, Kaffivagninn. Mais lorsqu’une odeur nauséabonde, la peningalykt (odeur d’argent – encore !), envahissait la ville, nous étions heureux car le hareng brûlait dans les fours de Grandi. Doit-on regretter que Reykjavík soit devenue une ville pimpante et animée ?  Bien sûr, cette transformation a produit des excès, beaucoup de ses habitants s’en sont éloignés pour faire une place – lucrative ! – aux touristes, trop brutale sans doute et qui appelle un rééquilibrage.

L’accueil aux nouvelles idées est par principe positif, jusqu’à ce qu’on s’aperçoive, parfois trop tard, d’éventuelles conséquences néfastes. À cet égard les projets de EP Power Minerals et ses camions sont illustratifs : une idée certainement lucrative, créatrice d’emplois, donc bien accueillie, jusqu’à ce qu’une étude plus approfondie mette en évidence ses cotés néfastes, notamment un camion de 38 tonnes toutes les huit minutes sur la N1. Se mettent alors en branle des contrepouvoirs qui vont tenter de réduire voire supprimer la menace, ou en tirer parti : et si EP Powers participait à la construction d’un port à Vík, tout proche du lieu d’extraction ?

Autre opportunisme à l’œuvre, celui de ports de l’est qui se préparent à recevoir les bateaux, surtout chinois, qui voudront profiter de la fonte des glaces arctiques pour emprunter les voies ainsi libérées…  Lucratif encore, mais qui aura aussi l’intérêt de fixer la population d’une région qui se dépeuple. C’est aussi le cas du tourisme !

Notons cependant qu’une idée couteuse peut être retenue, telle la construction de l’église Hallgrímskirkja, décidée à l’initiative d’un très petit groupe de paroissien(ne)s mécontent(e)s que le symbole phallique de Reykjavík fût l’église catholique de Landakot  ! 

Mais au fait, qui sont ces « Islandais » ?  Au 31 mars 2022, selon le Bureau des Statistiques, 381370 personnes vivaient sur l’île, dont 54940 étrangers soit 14.4%, Polonais pour moitié, et de plus en plus d’Ukrainiens. Il y a, en Islande aussi, des xénophobes et des racistes, mais, sauf quelques incidents, cette immigration est vécue comme une autre opportunité. Et de fait de plus en plus d’immigrés, surtout des femmes, prennent une part effective dans la vie sociale et culturelle de l’île et lui apportent un nouveau dynamisme.

Bien sûr, entreprendre c’est aussi vouloir que la réussite soit visible d’une communauté où tout le monde ou presque se connaît, et si possible au-delà : reconnaissance d’œuvres artistiques, d’exploits sportifs, ou encore possession de la plus belle maison, de la plus grosse voiture, du plus beau cheval…  Rien de neuf : j’ai souvenir du rúntur  (tour en voiture du centre-ville alors très pratiqué dans les Pays Nordiques) de Reykjavík que peuplaient de longues américaines, souvent décapotables (!), et ornées d’énormes antennes générant des bruits assourdissants appelés musique !

Alors, qu’est-ce qui change, sinon les apparences ?

« Nous ne voulons pas de cette Islande là ! »

Lorsque je dois présenter l’Islande et ses habitants je pars d’un mot : « espace », cet espace qui me revigore chaque fois que je pose le pied sur l’île et qui, sur la route me conduisant à Reykjavík, me permet d’admirer les nombreuses couleurs de volcans plus ou moins actifs, à gauche, et à droite, posée sur la mer, la couverture blanche du Snæfellsjökull, qu’a glorifié Jules Verne. Si le temps le permet bien sûr, mais en Islande il faut aussi beaucoup d’imagination !

Espace physique que ne cache aucun arbre et ouvert à tous les vents et toutes les tempêtes. Mais aussi espace dans le temps où l’on ne connaît pas de rupture entre les générations, ni dans la vie d’une personne, ni même avec la mort tant les ascendants sont présents. Espace intellectuel enfin, où sont autorisés, voire sollicités, tous les projets, toutes les idées en tous les domaines, où seule est critiquée l’inaction. Ce qu’on aime en Islande est l’absence de limites. Mais cette absence peut conduire à des entreprises où dominent le goût du gain et la recherche de reconnaissance : « être petits ne nous empêche pas d’être comme les autres ».

Deux projets illustrent ce qui précède et inquiètent : la volonté réaffirmée de planter des arbres partout où c’est possible d’une part, et d’autre part l’exportation de basalte produit par les volcans.

Islande? Écosse? Nouvelle-Zélande?

Alors, que sera l’Islande couverte d’arbres et dépourvue de basalte ?  Où sera cet espace qui nous importe tant ?

Hildur

Le journal « Le Monde », pourtant réputé sérieux, se fait le complice d‘une telle hérésie avec un article (voir ici)   intitulé « en Islande, des habitants replantent des arbres au pied des glaciers et sur des déserts de lave » (20 juillet – Anne-Lise Caro). Une belle photo illustre l’article, prise certainement en Islande, mais qui aurait pu l’être en Écosse ou en Nouvelle-Zélande…  Nous ne voulons pas de cette Islande là, écrit dans le quotidien Fréttablaðið Hildur Hermóðsdóttir, ancienne éditrice, très engagée dans la défense de son île, et qu’une journaliste sérieuse aurait dû rencontrer !  Elle y appelle ni plus ni moins qu’à l’insurrection (stríðástand). Selon elle le Service de foresterie islandais (Skógræktin), dont  Anne-Lise Caro se fait la porte-parole, s’est surtout illustré par des choix douteux dont l’un des premiers est l’introduction de lupins destinés à arrêter l’érosion, et dont il a perdu la maîtrise. Peu soucieux d’expériences passées, en Islande et ailleurs, il prépare, sous la fausse barbe de capture du  CO2 (voir à ce propos l’article de Marie Charrel dans le même quotidien, cette fois bien documenté) l’introduction de peupliers d’Alaska et de conifères particulièrement vivaces. « Avec 2 % de la surface actuelle de l’île (re) boisée, le travail des Islandais commence à payer. A l’horizon 2100, l’objectif de couverture espéré est de 12 % » s’exclame fièrement la journaliste du Monde. Mais compte tenu de la toponymie de l’île, 12% c’est l’essentiel des terres où peuvent pousser des arbres !  Que restera-t-il à l’espace !?   Il existe des forêts en Islande dont la plus grande, Hallormstaðaskógur, à l’est de l’île et très semblable aux Landes, occupe 740 ha. Ce sont des lieux de villégiature, de dépaysement et d’ouverture à la nature prisés par les citadins et leurs enfants. Laissons leur ce rôle, semblable à celui des parcs animaliers en France !

pendant 100 ans ?
Hafursey

Et voici que l’entreprise allemande EP Power Minerals s’avise que le basalte déposé au pied de la montagne Hafursey, au sud de l’île, peut être utilisé à la confection de ciment. Le potentiel est de 146 millions de m3 sur 15.5 km². Elle propose d’en collecter 286000 m3 la première année puis 1.43millions de m3, soit une extraction de 100 ans, réduisant de 10 mètres le niveau du sol, en attendant la prochaine éruption volcanique. 100 ans pendant lesquels une noria de camions parcourra 170 km jusqu’au port de Þorlakshöfn, au rythme d’un camion chargé de 28 tonnes toutes les 15 minutes, plus le retour, sur la route n°1, en son tronçon le plus fréquenté. Pour Bergþóra Þorkelsdóttir, directrice de Vegagerðin, organisme en charge de la gestion du réseau routier, ce projet n’est pas envisageable sans des travaux considérables.

On peut admirer ce souci d’équilibre où la plantation d’arbres permettra de capturer le CO2 émis par des camions !   N’est-il pas plus simple de renoncer aux deux projets pour jouir de l’espace ainsi libéré ?

Espace !!!