Jamais un article de mon blog n’a eu tant de succès, dû certainement au titre plus qu’à son contenu. Car les réactions sur le blog et reçues directement m’ont alerté. On me parlait surtout de changements, motivés par un goût de plus en plus prononcé pour le lucre… Mais avait-on compris que mon titre paraphrasait Hildur Hermóðsdóttir, citée dans l’article pour son combat contre la reforestation, connue aussi pour avoir participé dans sa jeunesse à la destruction d’un barrage hydroélectrique censé être un obstacle pour les saumons, préfigurant ainsi Halldóra Geirharðsdóttir dans « Woman at War » ? Et que cette « Islande là » est celle qui renonce à son identité et à ses valeurs, non à l’immobilisme ?
Alors parlons de changement, lucratif ou non.
« Les Islandais habitent la plupart dans des grottes (…) sont fort laids et leurs femmes aussi. Tout leur travail est la pêche, sont sales, incivils, brutaux et presque tous sorciers. (…) Ils sont si experts en l’Art Magique qu’ils vendent (aussi) le Vent aux navigateurs pour aller où bon leur semble » (Pierre Martin de la Martinière – Voyage des pais septentrionaux – Paris 1671
Sales et laids mais déjà commerçants, les Islandais ont-ils eu tort de vouloir sortir de leur misère ? Et pour ce faire de tirer parti de leurs ressources d’alors, le poisson et le vent, et leur connaissance de l’Art Magique ?
L’île provoque une sorte de « coup de foudre » chez de nombreux visiteurs, qui ensuite regrettent qu’en évoluant elle s’éloigne de leurs premières impressions. Et ils reprochent à ses habitants de dévoyer le modèle qui leur a tant plu, oubliant, volontairement ou non, que la survie sur leur île est aujourd’hui encore au cœur des choix de ses habitants, avec parfois des excès.
Pour ma part, arrivé pour la première fois en 1964 sur les traces de Jules Verne, j’ai eu la chance d’être d’abord déçu : premières impressions avec les baraques de l’aéroport de Reykjavík, encore international, puis crachin sur des murs gris et des rues quasi désertes alors que, mon sac à la main, je cherchais un hébergement et un repas. Au prix de ces derniers j’ai immédiatement compris que Jules Verne devrait attendre ! Dès le surlendemain je découpais des filets de poisson dans une usine de Reykjavík (aujourd’hui un musée !) et disposais d’un lit (?) dans un vieil atelier ; et découvrais immédiatement dans cette usine ce qui allait être l’essentiel selon moi : l’énergie vitale d’une communauté, que j’associerai plus tard à l’espace ! Je découvris aussi mon besoin de comprendre cette communauté et d’y revenir.
L’espace intellectuel, que je lie au besoin d’espace physique (importance de la vue lorsque l’on construit une maison !), invite à l’exploitation de la moindre opportunité, trouvée dans de bien maigres ressources physiques et que l’on tente aujourd’hui d’enrichir par des ressources intellectuelles de très haut niveau. En Islande toute nouvelle idée est accueillie comme un moyen de mieux assurer et pérenniser la survie de la communauté sur son île et/ou de contribuer à la connaissance ou la reconnaissance de son existence dans le monde, elle si petite et facilement oubliée. A l’inverse cette communauté, volontiers ouverte, se fermera comme une huitre face à toute atteinte, réelle ou supposée, à son indépendance et/ou à ses ressources – ainsi de l’affaire Icesave, ou du troisième Paquet de l’Énergie de l’UE (voir ma chronique de novembre 2018 et cet article de mon blog) – ; et elle entrera dans d’extraordinaires psychodrames collectifs, comme s’il lui fallait avoir peur ensemble pour tester sa solidité.
Dans les années 60 Reykjavík était une ville le plus souvent sinistre, qui ne s’animait, en version chancelante, que le samedi soir, et où n’existaient que deux restaurants abordables pour moi, la Cantine du Port et, les grands jours, Kaffivagninn. Mais lorsqu’une odeur nauséabonde, la peningalykt (odeur d’argent – encore !), envahissait la ville, nous étions heureux car le hareng brûlait dans les fours de Grandi. Doit-on regretter que Reykjavík soit devenue une ville pimpante et animée ? Bien sûr, cette transformation a produit des excès, beaucoup de ses habitants s’en sont éloignés pour faire une place – lucrative ! – aux touristes, trop brutale sans doute et qui appelle un rééquilibrage.
L’accueil aux nouvelles idées est par principe positif, jusqu’à ce qu’on s’aperçoive, parfois trop tard, d’éventuelles conséquences néfastes. À cet égard les projets de EP Power Minerals et ses camions sont illustratifs : une idée certainement lucrative, créatrice d’emplois, donc bien accueillie, jusqu’à ce qu’une étude plus approfondie mette en évidence ses cotés néfastes, notamment un camion de 38 tonnes toutes les huit minutes sur la N1. Se mettent alors en branle des contrepouvoirs qui vont tenter de réduire voire supprimer la menace, ou en tirer parti : et si EP Powers participait à la construction d’un port à Vík, tout proche du lieu d’extraction ?
Autre opportunisme à l’œuvre, celui de ports de l’est qui se préparent à recevoir les bateaux, surtout chinois, qui voudront profiter de la fonte des glaces arctiques pour emprunter les voies ainsi libérées… Lucratif encore, mais qui aura aussi l’intérêt de fixer la population d’une région qui se dépeuple. C’est aussi le cas du tourisme !
Notons cependant qu’une idée couteuse peut être retenue, telle la construction de l’église Hallgrímskirkja, décidée à l’initiative d’un très petit groupe de paroissien(ne)s mécontent(e)s que le symbole phallique de Reykjavík fût l’église catholique de Landakot !
Mais au fait, qui sont ces « Islandais » ? Au 31 mars 2022, selon le Bureau des Statistiques, 381370 personnes vivaient sur l’île, dont 54940 étrangers soit 14.4%, Polonais pour moitié, et de plus en plus d’Ukrainiens. Il y a, en Islande aussi, des xénophobes et des racistes, mais, sauf quelques incidents, cette immigration est vécue comme une autre opportunité. Et de fait de plus en plus d’immigrés, surtout des femmes, prennent une part effective dans la vie sociale et culturelle de l’île et lui apportent un nouveau dynamisme.
Bien sûr, entreprendre c’est aussi vouloir que la réussite soit visible d’une communauté où tout le monde ou presque se connaît, et si possible au-delà : reconnaissance d’œuvres artistiques, d’exploits sportifs, ou encore possession de la plus belle maison, de la plus grosse voiture, du plus beau cheval… Rien de neuf : j’ai souvenir du rúntur (tour en voiture du centre-ville alors très pratiqué dans les Pays Nordiques) de Reykjavík que peuplaient de longues américaines, souvent décapotables (!), et ornées d’énormes antennes générant des bruits assourdissants appelés musique !
Alors, qu’est-ce qui change, sinon les apparences ?
Merci pour cet article passionnant.
Merci pour ces articles bien intéressants et votre point de vue éclairé !
Merci pour ces deux articles. Ils m’évoquent cette phrase souvent répétée : les Islandais ont un pied dans le passé et l’autre dans l’avenir.
S’il est facile de juger le passé, envisager l’avenir est devenu beaucoup plus délicat et incertain, pour de nombreuses raisons, en particulier les conséquences économiques et géopolitiques du réchauffement climatique.
Mais le pied ancré sur le passé donne une véritable stabilité. « Þetta reddast » !