Chronique islandaise – janvier 2024

Cette chronique de janvier, mois de 31 jours, est longue. Pourtant elle peut se résumer en quelques mots chers aux Islandais : écoute, recherche du compromis, médiation. Et s’ils viennent à manquer : sanction, comme celle infligée à Svandís Svavarsdóttir à propos de la chasse à la baleine. L’accord le plus intéressant est peut-être celui négocié entre élèves, enseignants et parents, pour que les premiers laissent leur smartphone à l’entrée de certains établissements scolaires.

Et il y a de la fantaisie avec les chaussettes du président Guðni, que nous regretterons beaucoup.

Bonne lecture,

Michel

Islande : failles et résilience

Au mois de novembre une amie islandaise et moi sommes contactés par un établissement universitaire parisien pour intervenir à propos de l’Islande à l’occasion de sa participation à la Nuit des Idées organisée en mars 2024 par l’Institut Français. Le thème est cette année : « Lignes de faille », qu’elles soient technologiques, environnementales ou encore politiques…  Coïncidence : c’est alors que les rues de Grindavík commencent à se fendre. Quelle illustration !  Mais nous réfléchissons aussi que les failles sismiques ne sont pas les seules que connaît notre île, et que face à chacune d’elles les Islandais ont su transformer une menace en opportunité, faisant ainsi œuvre de résilience.

Nous nous lançons alors dans un inventaire fébrile de ces failles et des réponses qu’elles ont générées. Notre liste n’est évidemment pas exhaustive, c’est pourquoi je fais appel à toutes idées ou commentaires sur les nôtres pour que mon amie et moi nous nous présentions à cette Nuit des Idées proches de l’excellence.

En attendant vos contributions, j’essaie ci-dessous de mettre un peu d’ordre dans nos réflexions.

Il y a donc les failles sismiques qui traversent l’île : non seulement elles génèrent des éruptions volcaniques parfois catastrophiques, mais aussi des manifestations plus constantes et pacifiques telles que les diverses sources d’eau chaude exploitées sur toute l’île.

Autre série de failles, dues à la nature : l’Islande est une île au milieu de l’Atlantique nord, grande mais très peu peuplée et quasi dénuée de ressources naturelles, notamment les énergies fossiles. En tant qu’île elle est exposée à la perte de contacts avec l’extérieur, d’où une crainte quasi existentielle de ses habitants d’être oubliés. De plus leur vie économique repose sur les échanges avec l’extérieur, longtemps très difficiles faute de moyens et/ou par la volonté du colonisateur. La très longue nuit économique et donc démographique qui les a mis plusieurs fois au bord de la disparition explique que aujourd’hui encore les Islandais soient si peu nombreux. Donc : un marché économique très étroit qui expose à l’inflation en même temps qu’il fait craindre une dépendance jugée insupportable de puissantes économies étrangères ; et une monnaie qu’il faut sans cesse défendre.

La géographie génère l’histoire. Celle-ci commence par l’installation de Vikings audacieux, capables d’organiser très vite une communauté remarquable de plusieurs dizaines de milliers de personnes basée sur la loi et le compromis et qui n’a pas besoin de souverain. Elle se poursuivra près de trois siècles, jusqu’à ce que les rois norvégiens puis danois imposent leurs lois et leurs impôts, et un véritable asservissement économique. Que les Islandais n’ont toujours pas oublié et qui leur rend difficile la participation à des organisations politiques supranationales telles l’UE.

Et voici que s’ouvre une nouvelle faille, celle du réchauffement climatique et de ses effets sur l’environnement !  Et une autre encore, générée par un incontestable succès socio-économique, l’accueil d’un nombre élevé d’immigrés, tel que un habitant de l’île sur cinq n’y est pas né !

Résilience ?

Nous pouvons classer les réponses islandaises en quatre grandes catégories :

  • aux ressources naturelles que sont les ressources halieutiques et l’énergie générée par la géothermie et l’hydraulique, et à la valeur ajoutée que les Islandais ont su générer, sont venues s’ajouter des ressources intellectuelles de haut niveau souvent acquises dans les meilleures universités européennes et américaines. Elles ont permis le développement d’ingénieries conçues pour une meilleure exploitation des ressources naturelles, utilisées sur place ou vendues à l’étranger. Exemples : informatique embarquée sur les bateaux de pêche, conditionnement du poisson, ou dans un autre domaine capture du CO2 émis pas les fonderies d’aluminium ou les centrales géothermiques,
  • ces compétences de haut niveau ne pourraient être acquises sans une inextinguible curiosité et ouverture au monde, considérées comme essentielles dans l’apprentissage scolaire puis dans les établissements universitaires islandais, même si cela se fait au détriment  des matières traditionnelles (cf. mauvais résultats au PISA 2022),
  • c’est cette culture de « citoyens du monde »  qui permet à l’Islande d’être présente et reconnue, malgré sa « petitesse » et son isolement géographique, dans les forums internationaux. Et ses dirigeants ont su faire de sa position au milieu de l’Atlantique un atout stratégique apprécié lors des guerres du XXème siècle, et aujourd’hui encore comme escale sur les nouvelles voies maritimes associées à la fonte des glaces,
  • et c’est encore elle qui permet aux Islandais d’accueillir de nombreux réfugiés et immigrants économiques dans une logique d’inclusion plus que d’intégration, grâce à laquelle ceux-ci contribuent largement au développement économique de l’île.

Mais l’inclusion expose les Islandais à une dissolution de leur identité, notamment de leur langue. Il faut se méfier d’un éventuel retour de bâton, soit encore une autre faille, prête à s’ouvrir !