Dans mon article du 16 avril à propos de l’élection présidentielle qui aura lieu le 1er juin, je faisais état de trois surprises : que Guðni Jóhannesson ne se représente pas alors qu’un troisième mandat lui tendait les bras ; que 30 personnes candidats annoncent leur candidature ; et parmi elles Katrín Jakobsdóttir, alors Première Ministre. Et il y en aurait une quatrième : la candidature tardive d’une personne peu connue malgré d’importantes responsabilités : Halla Hrund Logadóttir, directrice de l’Énergie maintenant en disponibilité, qui aujourd’hui fait la course en tête.
30 candidats ? L’inflation que j’évoquais alors a pris des proportions inédites. Ce sont 82 (quatre-vingt-deux !) personnes qui sont parties à la chasse des 1500 signatures nécessaires pour concourir, ramenées à 12 (dont 6 hommes) le 25 avril après examen de leur butin ! La grande majorité de ces personnes savaient qu’elles n’avaient aucune chance, alors pourquoi ? Faire parler d’elles ne fût-ce que quelques heures ? Faire montre d’un engagement citoyen ? Prouver que chaque citoyen islandais en vaut un autre quand il s’agit d’accéder à une magistrature à laquelle aucune formation n’existe ? Il n’y a pas eu encore à ma connaissance d’études précises à ce propos, mais on peut certainement retenir le signe d’un engagement citoyen significatif. Le taux de participation éclairera cette hypothèse.
Ce 14 mai (sondage Prósent du 7 au 12 mai), deux femmes sont en tête dans le sprint final : Halla Hrund avec 26% des voix et Katrín avec 19%, suivies de Baldur Þórhallsson (18%) et Jón Gnarr (14%). Mais les jeux sont loin d’être faits : tous ont perdu du terrain, et notamment Halla Hrund (un temps à plus de 30%) au profit d‘une autre candidate, Halla Tómasdóttir (12.5%) connue pour sa « remontada » voici huit ans où elle avait fini par talonner Guðni.
Halla Hrund Logadóttir ? Âgée de 43 ans elle exerçait depuis 2021 la fonction de directrice de l’Énergie, première femme à ce poste. Spécialiste de l’énergie, ainsi que du monde arctique, elle enseigne de plus à l’Université d’Islande et à Harvard. Annoncée seulement le 7 avril sa candidature n’a pas immédiatement émergé (je n’en parlais pas dans mon article du 14 avril !) puis est apparue comme une alternative moins clivante que Katrín, bien qu’elle soit moins à l’aise que ses concurrent(e)s lors des débats télévisés.
J’ai décrit cette fonction dans mon précédent article ainsi que sa pratique par ses trois derniers détenteurs. En bref le Président assume le pouvoir exécutif, mais ne peut rien décider sans l’accord du gouvernement ou de l’Alþingi, ce qui revient à lui donner l’apparence d’une fonction de représentation. Dès lors une élection au suffrage universel se justifie-t-elle ? Il m’est arrivé d’en douter. Mais ce qui se passe actuellement lève toute ambiguïté : aux yeux des Islandais cette fonction est essentielle et il est parfaitement logique que le choix de son titulaire soit directement le leur. Par contre les modalités du scrutin pourraient être revues ; j’y reviendrai en conclusion.
À quelques nuances près les candidats décrivent une magistrature en charge de préserver les valeurs (lesquelles ?) de la communauté des Islandais, au-dessus des débats politiques auxquels ils assistent, surtout actuellement, avec une bonne dose d’agacement. Pour cela il dispose d’une arme : soumettre à referendum une loi votée par l’Alþingi en refusant de la promulguer. Ce qui revient à exposer les députés au désaveu de ceux qui les ont élus. À ce jour seul Ólafur Ragnar Grímsson a osé utiliser cette possibilité, deux fois, à propos de la dette Icesave, mettant le gouvernement, qu’il ne s’était pas donné la peine de prévenir, dans une situation très difficile. « Fait du Prince » ? Il s’en est défendu en montrant qu’il avait agi en réponse à des pétitions très largement signées. Mais d’autres pétitions tout aussi populaires ne l’ont pas incité à renouveler l’expérience. Prise de conscience que l’outil est à double tranchant ? La question de ce pouvoir a été posée aux candidats à laquelle les réponses ont semblé embarrassées : oui si la loi votée est contraire aux valeurs de la communauté, voire à la constitution. Mais dans ce dernier cas il existe un Umboðsmaður Alþingis qui ces derniers mois ne s’est pas privé d’intervenir, ainsi que des tribunaux. Il n’en reste pas moins qu’il y a là une aspiration à plus de « démocratie directe » permanente dans la vie politique islandaise.
Pour cette communauté dont les membres ont toujours peur d’être oubliés sur leur île, la représentation à l’étranger est essentielle, à l’exemple de ce qu’ont su faire Vigdís Finnbógadóttir et dans un registre différent Ólafur Ragnar Grímsson. S’y ajoute, et peut-être est-ce dû à l’actualité internationale, un souci de protection que Katrín a exprimé en ces mots le 14 mai : Þjóðin á að geta hallað sér að forsetanum þegar á móti blæs (le peuple doit pouvoir se tourner vers le président lorsque soufflent des vents contraires), sachant qu’elle est mieux que quiconque placée pour y répondre.
Bref on attend d’une présidence sans véritable pouvoir qu’elle sache faire preuve d’autorité, en particulier si la communauté se sent menacée, et puisse le cas échéant organiser un dialogue entre le peuple, le gouvernement et elle lorsque les choix à faire transcendent les divisions politiques traditionnelles.
Ceci appelle à des modifications de la constitution dont certaines étaient inscrites dans le projet de réforme constitutionnelle malheureusement avorté (voir ici ) :
- élection du président pour un mandat de quatre ou cinq ans renouvelable une fois. Une élection a deux tours (trois premiers candidats ?) éviterait l’éparpillement des voix, nuisible à la légitimité de l’élu,
- suppression du « fait du Prince », mais possibilité de demander une relecture de la loi,
- implication plus forte dans la politique extérieure de l’île afin de donner du sens aux visites officielles du président .
Pour ce qui concerne la démocratie directe, la réforme apportait des réponses s’appuyant sur des pétitions demandant le vote ou la révision de lois, malheureusement restées lettre morte faute de volonté du gouvernement conduit par Katrín.
Alors qui ? Ce jour la course semble se circonscrire entre deux personnes, deux femmes, aux personnalités différentes :
- Katrín, à laquelle chacun reconnaît le charisme et l’expérience nécessaires à cette fonction, mais à qui certains reprochent d’avoir fait trop de concessions au parti de l‘Indépendance quand elle dirigeait le gouvernement, notamment sur les institutions ?
- Halla Hrund, qui, même sans responsabilité politique, a travaillé en proximité avec les décideurs, notamment sur les sujets environnementaux, si importants pour l’avenir, a une expérience internationale reconnue, et apporte au débat une fraîcheur bienvenue ?