Le 14 mai, en passant de 0 à 4 sièges sur 23 au conseil municipal de Reykjavík lors des élections locales, le Framsókn, nom familier pour Framsóknarflokkur (parti du Progrès) surprend jusqu’à ses dirigeants. Et il n’y a pas que Reykjavík : le Framsókn gagne de 1 à 2 sièges dans chacune des 6 autres communes de la région-capitale. Et au niveau national, de 8.5% des voix et 45 sièges en 2018, il passe à 18% et 67 sièges. Il confirme ainsi sa victoire aux élections législatives du 25 septembre 2021 (de 8 à 13 sièges), grâce à laquelle la majorité tripartite a pu se targuer d’une victoire (de 35 à 37 sièges) alors que la Gauche Verte a perdu 3 sièges et que le parti de l’Indépendance a gardé ses 16 sièges tout en perdant des voix.
Résurrection du plus vieux parti d’Islande ? C’est en tout cas un passionnant épisode d’une histoire bien tourmentée. Fondé en 1916, le Framsókn se veut parti agrarien, porte-parole politique des organisations paysannes, et très lié au mouvement coopératif, principale force économique de l’île jusqu’au début des années 1990. En conséquence il défend une vision administrée de l’économie. Mais voici que disparaissent les paysans et aussi, sous les coups du parti de l’Indépendance, le mouvement coopératif (voir mon article du blog à ce propos). Après avoir donné à la politique islandaise quelques figures emblématiques, notamment Hermann Jónasson, Président du parti de 1944 à 1962 et ministre ou Premier ministre de 1934 à 1958, et son fils Steingrímur Hermannsson, Premier ministre de 1983 à 1991, le Framsókn paraît désorienté et vire vers le libéralisme au point que ses orientations se distinguent mal de celles du Parti de l’Indépendance, peut-être pour en rester l’allié naturel.
En janvier 2009 Sigmundur Davíð Gunnlaugsson s’empare de sa présidence après trois mois d’adhésion. Malgré les prises de position très populistes de ce dernier le Framsókn ne semble pas en mesure de progresser très au-delà des 15% obtenus en 2009. Or voici que le jugement favorable, et inattendu, de la Cour de Justice de l’AELE à propos de l’agence bancaire Icesave, connu en janvier 2013, vient légitimer aux yeux de l’opinion islandaise l’opposition systématique de Sigmundur Davíð à tout compromis et ses positions les plus étroitement nationalistes et démagogiques. C’est ainsi qu’aux élections législatives de 2013 le Framsókn est porté à un niveau jamais atteint : 24.4% et 19 députés au lieu de 14.8% et 9 députés quatre ans auparavant !
Las, voici que devenu Premier ministre Sigmundur Davíð est pris dans le scandale des Panama papers. Il doit quitter son poste et le laisser à son vice-président Sigurður Ingi Jóhannsson, en attendant qu’aient lieu de nouvelles élections législatives. Mais il est aussi poussé vers la sortie de son parti et fonde le parti du Centre, que son populisme place vite à l’extrême droite. Son choix d’abord paraît le bon : en 2017 le nouveau parti fait jeu égal avec le Framsókn en voix. Ce dernier perd 11 de ses 19 sièges, alors que le parti du Centre en gagne 7. Simultanément apparaît le parti du Peuple qui à la surprise générale obtient 4 sièges. Son apparente proximité avec le parti du Centre est telle que Sigmundur Davíð parvient à attirer deux de ses députés vers son propre mouvement ce qui en fait le deuxième parti de l’Alþingi et un opposant violent, pendant que le Framsókn avec ses trois ministres (photo) semble perdre du terrain pendant une bonne partie de la législature 2017-2021. Le retournement est perceptible au cours des derniers mois de celle-ci, mais son amplitude surprend : le Framsókn passe de 8 à 13 députés et le parti du Centre de 9 à 3, dont un va immédiatement rejoindre le parti de l’Indépendance. Autre résultat, important pour l’analyse : le parti du Peuple obtient 6 sièges au lieu des 2 qui lui restaient.
Résurrection durable ? Retour de flammes sans suite, dont la vie politique islandaise, nécessairement très personnalisée, est coutumière ? Pour tenter un pronostic il importe de démêler l’écheveau des causes possibles : habileté des nouveaux dirigeants du Framsókn et qualité de leurs choix ? personnalité de Sigurður Ingi, excès de Sigmundur Davíð ? le tout sur fond de Covid… Ou plus profondément : révérence faite à un parti politique intimement associé aux valeurs traditionnelles islandaises, en même temps que proximité avec le concept d’« habitabilité » cher à certains écologistes (voir mon article de blog à ce propos) ?
Laissez-moi le temps d’y réfléchir avant un deuxième article…
Merci infiniment pour ces explications, rendant beaucoup plus compréhensible la vie politique islandaise.