Lorsque je dois présenter l’Islande et ses habitants je pars d’un mot : « espace », cet espace qui me revigore chaque fois que je pose le pied sur l’île et qui, sur la route me conduisant à Reykjavík, me permet d’admirer les nombreuses couleurs de volcans plus ou moins actifs, à gauche, et à droite, posée sur la mer, la couverture blanche du Snæfellsjökull, qu’a glorifié Jules Verne. Si le temps le permet bien sûr, mais en Islande il faut aussi beaucoup d’imagination !
Espace physique que ne cache aucun arbre et ouvert à tous les vents et toutes les tempêtes. Mais aussi espace dans le temps où l’on ne connaît pas de rupture entre les générations, ni dans la vie d’une personne, ni même avec la mort tant les ascendants sont présents. Espace intellectuel enfin, où sont autorisés, voire sollicités, tous les projets, toutes les idées en tous les domaines, où seule est critiquée l’inaction. Ce qu’on aime en Islande est l’absence de limites. Mais cette absence peut conduire à des entreprises où dominent le goût du gain et la recherche de reconnaissance : « être petits ne nous empêche pas d’être comme les autres ».
Deux projets illustrent ce qui précède et inquiètent : la volonté réaffirmée de planter des arbres partout où c’est possible d’une part, et d’autre part l’exportation de basalte produit par les volcans.
Alors, que sera l’Islande couverte d’arbres et dépourvue de basalte ? Où sera cet espace qui nous importe tant ?
Le journal « Le Monde », pourtant réputé sérieux, se fait le complice d‘une telle hérésie avec un article (voir ici) intitulé « en Islande, des habitants replantent des arbres au pied des glaciers et sur des déserts de lave » (20 juillet – Anne-Lise Caro). Une belle photo illustre l’article, prise certainement en Islande, mais qui aurait pu l’être en Écosse ou en Nouvelle-Zélande… Nous ne voulons pas de cette Islande là, écrit dans le quotidien Fréttablaðið Hildur Hermóðsdóttir, ancienne éditrice, très engagée dans la défense de son île, et qu’une journaliste sérieuse aurait dû rencontrer ! Elle y appelle ni plus ni moins qu’à l’insurrection (stríðástand). Selon elle le Service de foresterie islandais (Skógræktin), dont Anne-Lise Caro se fait la porte-parole, s’est surtout illustré par des choix douteux dont l’un des premiers est l’introduction de lupins destinés à arrêter l’érosion, et dont il a perdu la maîtrise. Peu soucieux d’expériences passées, en Islande et ailleurs, il prépare, sous la fausse barbe de capture du CO2 (voir à ce propos l’article de Marie Charrel dans le même quotidien, cette fois bien documenté) l’introduction de peupliers d’Alaska et de conifères particulièrement vivaces. « Avec 2 % de la surface actuelle de l’île (re) boisée, le travail des Islandais commence à payer. A l’horizon 2100, l’objectif de couverture espéré est de 12 % » s’exclame fièrement la journaliste du Monde. Mais compte tenu de la toponymie de l’île, 12% c’est l’essentiel des terres où peuvent pousser des arbres ! Que restera-t-il à l’espace !? Il existe des forêts en Islande dont la plus grande, Hallormstaðaskógur, à l’est de l’île et très semblable aux Landes, occupe 740 ha. Ce sont des lieux de villégiature, de dépaysement et d’ouverture à la nature prisés par les citadins et leurs enfants. Laissons leur ce rôle, semblable à celui des parcs animaliers en France !
Et voici que l’entreprise allemande EP Power Minerals s’avise que le basalte déposé au pied de la montagne Hafursey, au sud de l’île, peut être utilisé à la confection de ciment. Le potentiel est de 146 millions de m3 sur 15.5 km². Elle propose d’en collecter 286000 m3 la première année puis 1.43millions de m3, soit une extraction de 100 ans, réduisant de 10 mètres le niveau du sol, en attendant la prochaine éruption volcanique. 100 ans pendant lesquels une noria de camions parcourra 170 km jusqu’au port de Þorlakshöfn, au rythme d’un camion chargé de 28 tonnes toutes les 15 minutes, plus le retour, sur la route n°1, en son tronçon le plus fréquenté. Pour Bergþóra Þorkelsdóttir, directrice de Vegagerðin, organisme en charge de la gestion du réseau routier, ce projet n’est pas envisageable sans des travaux considérables.
On peut admirer ce souci d’équilibre où la plantation d’arbres permettra de capturer le CO2 émis par des camions ! N’est-il pas plus simple de renoncer aux deux projets pour jouir de l’espace ainsi libéré ?
L’Islande n’est déjà plus ce qu’elle était avec l’appât du gain et l’afflux de touristes irresponsables qui ne respectent pas la nature . Reykjavik elle même n’est plus ce qu’elle était . Les nouveaux immeubles autour du port défigurent le paysage et cachent la mer. Toutes les nouvelles constructions autour des sites grignotent l’espace petit à petit . Et les quelques forêts qui existeront ne pourront pas rivaliser avec la pollution des bateaux de croisière de plus en plus nombreux et qui polluent allègrement , ni avec les hélicoptères ou les énormes 4×4 qui transportent les touristes sur les sites si magnifiques alors complètement dénaturés. Tout cela existe déjà et non nous ne voulons pas de cette Islande là !
Nous sommes effarés de voir qu’il est envisagé de construire des chambres flottantes sur les lacs glaciaires au milieu des icebergs… !!!! Alors qu’est devenu l’espace et cette sensation que l’on pouvait avoir de communion avec la nature? Planter quelques arbres, fabriquer des forêts , cela ne me parait pas le problème primordial. Le sans limites de l’appât du gain me semble prioritaire, alors non et non ce n’est pas l’Islande que l’on a aimée.
Cordialement.
Je suis entièrement d’accord avec vous Gabrielle. Je ne reconnais l’Islande découverte en 2005. Sur Fb, je me suis fait agonir en disant que l’Islande avait changé.
Oui, l’Islande a changé. Je l’ai découverte en 1985 et jusqu’en 2016 j’y suis allée tous les ans. Le tourisme, s’il reste limité, ne doit pas être un problème, mais il a pris trop d’ampleur et n’est pas suffisamment encadré, d’une part pour éviter les dégradations et d’autre part pour éviter les constructions et aménagements intempestifs. Quant aux futurs camions ….. c’est sans commentaires ……
Bien dit, Madame! Mon Islande natale n’est plus depuis que le tourisme la défigure corps et âme et des architectes sans génie céphalopodes y contribuent par leurs traits de plume blafards
Bonjour,
Je partage complètement votre point de vue, Gabrielle.
J’ai découvert l’Islande en 1974 et j’y suis allé maintes fois ensuite, avec mon épouse, jusqu’en 2015. Toujours en voyageurs autonomes, voiture de location et en logeant toujours chez les gens, de préférence dans des fermes.
Depuis longtemps nous avions noté cette avidité pour l’argent et ce désir constant de paraître qui caractérise de nombreux Islandais.
Nous avons compris aujourd’hui qu’ils sont prêts à tout sacrifier de leur île et de leur culture pour cela.
Libre à eux, après tout, pourquoi pas…
Nous ne revenons plus en Islande de nos jours. Plus envie…
Percutant !
Mais avec le réchauffement climatique et la fonte (et disparition) des glaciers, l’Islande ne va-t-elle pas changer de toute façon ?
Très bien dit Michel – Merci !
« Le triomphe de la cupidité » est le titre d’un solide ouvrage de Stiglitz, prix Nobel d’économie (pas du tout marxiste). Nous y sommes depuis toujours mais avec amplification accélérée.
Daniel Beaussier