L’Islande dans l’Espace Économique Européen – le rapport de Björn Bjarnason

La loi autorisant l’adhésion de l’Islande à l’Espace Économique Européen (EEE) qui, outre notre île, associe étroitement aux pays de l’UE, le Lichtenstein et la Norvège, a été votée le 12 janvier 1993 et est entrée en application le 1er janvier de l’année suivante ; non sans mal tant ont été violentes les manifestations d’hostilité, à l’Alþingi mais aussi dans la rue.

25 ans après, Guðlaugur Þór Þorðarsson, Ministre des Affaires Étrangères (Parti de l’Indépendance) a confié à Björn Bjarnason, ancien ministre, lui aussi du Parti de l’Indépendance, la mission de diriger un groupe de travail sur les avantages et inconvénients de cette adhésion. Ce pouvait être inquiétant pour les personnes qui lui sont favorables. Ministre des Affaires étrangères depuis janvier 2017, Guðlaugur Þór n’avait pas manqué une occasion de vilipender l’UE et parfois l’EEE à l’aide d’arguments parfois surprenants, et manifesté un intérêt envieux pour le Brexit, avant une sensible inflexion au cours de ces derniers mois. Björn, à l’instar de la vieille garde du Parti de l’Indépendance, passait lui aussi pour très frileux sur le sujet. Par contre il est connu pour sa grande culture politique et son honnêteté intellectuelle.

Björn

Le rapport fait 302 pages !  Dans son introduction Björn insiste sur le fait que l’objectif du rapport n’est pas de prendre position pour ou contre l’adhésion à l’EEE, mais d’apporter des informations aux décideurs. Pourtant, dès les premières lignes, après avoir précisé que le groupe de travail a rencontré 147 personnes concernées d’une manière ou autre par le sujet, il ajoute : « en bref, toutes les personnes que nous avons rencontrées se félicitent de la présence de l’Islande dans l’EEE, hormis les membres de l’Association « Frjálst land » (Pays libre). Elle représente un apport important pour tous ceux qui travaillent dans les domaines qu’elle couvre. »

Les électeurs ne sont pas si unanimes : selon un sondage cité dans le rapport et publié dans le 21 juin 2019, 55.2% des personnes interrogées se disent satisfaites ou très satisfaites de cette adhésion, 32.9% sont partagées et 11.8% en ont une vision négative. Il est vrai que seul un gros tiers des personnes sondées dit bien connaître le contenu de l’accord, alors que 20% reconnaissent leur ignorance.

Plus intéressantes encore sont les raisons de ces choix : 49% de ceux qui sont favorables à l’accord le sont parce qu’il ouvre des débouchés économiques, mais 23% seulement pour les possibilités d’études et d’emploi sur tout l’Espace et 8% pour la coopération européenne. L’EEE est donc pour eux un accord commercial avant tout, alors qu’il s’agit de toute autre chose. Les opposants le sont à 31% à cause de la perte d’indépendance et 15% à cause de la lourdeur des règles.

Passons au niveau de la classe politique. Les débats autour du Troisième Paquet de l’Énergie, dont l’acceptation résulte de l’adhésion à l’EEE, révèlent un profond décalage, et préoccupant, avec ce qui précède. Si après le psychodrame collectif dont j’ai fait état ici et dans mes chroniques à plusieurs reprises, le texte a été largement approuvé (46 voix pour, 13 contre et 4 abstentions), le soutien a été bien plus fort du côté de l’opposition, à l’exception des deux partis « populistes», que de la part des trois partis au pouvoir, qui ont fait un choix de raison, soucieux avant tout de ne pas casser leur alliance. Même le soutien de Katrín Jakobsdóttir a été discret. Quant au Parti de l‘Indépendance, malgré l’approbation immédiate et courageuse de Þórdís Kolbrún Gylfadóttir, Ministre de l’industrie et Vice Présidente du parti, il a fallu, semble-t-il, l’intervention de Björn Bjarnason – peut-être converti par son propre rapport ! – pour que le « oui au texte » l’emporte après, voici un peu plus d’un an, une violente diatribe de Bjarni Benediktsson, son président. Peut-être est-ce à cause de la pusillanimité de ces dirigeants que ce remarquable rapport est malheureusement passé inaperçu, ou presque, au lieu de susciter le débat que mérite le sujet !

Voici qui illustre comment en Islande – et ailleurs ! – une grande partie de la classe politique, celle justement qui a toujours exercé le pouvoir depuis l’indépendance de l’île, est à la traîne de l’opinion alors que celle-ci est désorientée et demande qu’on l’éclaire à un moment où elle se sent à la croisée des chemins. Ce qui explique un malaise croissant exprimé par deux dissolutions et les mouvements sociaux du début d’année…

…et explique aussi, en partie, qu’une grande partie des Islandais se soient laissés berner par Sigmundur Davíð Gunnlaugsson à propos du Troisième Paquet !  J’y reviendrai.

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