En ces temps où le mot « retraite » est sur toutes les bouches françaises j’ai cru intéressant de donner quelques informations sur le système islandais. Toutefois, je plaide l’indulgence : les systèmes de retraite, quels qu’ils soient, ne se comprennent bien( ?) que de l’intérieur. C’est pourquoi des erreurs sont possibles, et je recevrai volontiers toutes remarques.
Même s’il a fait l’objet d’amendements en cours d’application dans le vaste accord social signé en début d’année 2019, l’architecture du système islandais reste inchangée et c’est celle-ci qui nous intéresse. J’ajoute qu’elle est aux antipodes du système français, et plus encore de celui qui se dessine, notamment parce qu’il y a en Islande 21 caisses et que personne ne s’en émeut.
Autre antipode : il n’est pas concevable en Islande qu’un système de retraite et ses amendements ne soient pas le résultat d’accords collectifs entre employeurs et employés, et éventuellement l’État s’il doit y contribuer, ce qui est le cas pour le « pilier I » et les exonérations fiscales sur les cotisations.
Le système islandais repose en effet sur trois « piliers » (stoð)[1]. Le principal est le pilier 2 (lífeyrissjóðir – 67% des sommes distribuées), obligatoire, et géré par les 21 caisses mentionnées plus haut. Il est privé, comme l’est le pilier 3 (viðbótarlifeyríssparnaður – 10% des sommes distribuées), qui, lui, est optionnel. Le pilier I (Almannatryggingar – 23% des sommes distribuées) est public et conçu pour compléter les deux précédents et assurer à toutes les personnes résidant en Islande un revenu minimal supérieur au « seuil de pauvreté » (60% du revenu médian disponible). Le taux plein est atteint avec une résidence de 40 ans entre 16 et 67 ans[2], et proraté pour les durées inférieures.
Le pilier I est financé par l’impôt sur le revenu. Le pilier II est financé par une cotisation de 4 % sur les revenus des actifs, salariés et indépendants, et 8% progressivement portés à 11.5% pour les employeurs. La cotisation pour le pilier III est de 2 ou 4% pour les actifs, et 2% pour les employeurs. L’adhésion à ce pilier est encouragée par des exonérations fiscales sur les cotisations.
Le choix de la caisse du pilier 2 dépend de la convention collective applicable au salarié. Certaines en imposent une, d’autres non. En conséquence quelques caisses sont ouvertes à tous, y compris les travailleurs indépendants, et donc en concurrence, alors que les autres n’accueillent que certaines professions. C’est vrai en particulier du secteur public.
Ces caisses sont toutes gérées paritairement. La loi leur impose de prévoir, outre une pension de retraite, une rente au conjoint survivant et aux personnes handicapées. À cela s’ajoutent des services, qui vont les rendre plus ou moins attractives. Pour ce qui concerne la pension de retraite, la loi fixe un objectif, pas toujours atteint, de 56% du revenu moyen perçu tout au long de la vie active, corrigé de l’inflation. Le taux plein est en principe obtenu pour 42 ans d’activité et un âge de 67 ans. L’ensemble est coordonné par une instance nationale (Landsamtök lífeyrisjóða).
Les 21 caisses représentent une capitalisation totale de 1.5 fois le PNB islandais, avec de grandes disparités entre elles puisque les trois plus grosses gèrent la moitié de cette capitalisation. Elles sont donc pour l’économie islandaise un poumon important auquel il peut être fait appel comme à des banques, au point que des investissements parfois hasardeux, notamment en devises étrangères, ont conduit quelques-unes d’entre elles au bord de la faillite lors de la crise de 2008, ce qui explique un certain nombre de fusions, et aussi un renforcement des règles de gestion qui leur sont imposées.
La question légitime est : combien reçoivent-ils ? La réponse est malaisée tant sont différentes les situations. Mais on peut considérer qu’une personne ayant cotisé 42 ans et prenant sa retraite à 67 ans recevra environ 100% de son revenu moyen d’activité, sensiblement plus si ce revenu est inférieur à la moyenne et moins s’il lui est supérieur, ce qui s’explique par la compensation qu’apporte le pilier I.
Il est vrai que la situation démographique actuelle est très
positive : 5 personnes entre 15 et 66 ans pour 1 personne de 67 ans ou
plus. Ce taux devrait tomber à 4 en 2030 et à 3 en 2050. ! Mais on voit que le système est suffisamment
souple, et suffisamment forte (aujourd’hui !!!) la volonté des partenaires
sociaux de s’accorder, pour croire que des solutions seront trouvées…
[1] Voir diaporama (2017) et rapport détaillé pour l’OCDE (2014)
[2] soit 281.050 ISK (€ 2.280) en 2017 pour un célibataire
J’aimerais reprendre cet exposé très clair en soulignant les différences culturelles qui sous-tendent les différences de système.
1- Le pillier 1, en Islande est assez férocement capitaliste. Les cotisations sont investies en actions et en obligations, avec un objectif de 3,5% de rendement pour assurer l’avenir des retraites. Les obligations sont en régression, car l’Etat islandais s’est spectaculièrement désendetté. Du coup, il n’a pas besoin de se refinancer comme par le passé. Le contrôle des changes, dans les années qui ont suivi l’effondrement, ont interdit aux fonds de retraites d’acheter des actions étrangères. Il en résulte que les fonds de pensions islandais sont omniprésents dans le capital des sociétés. Ils sont, avec les fonds de pensions anglo-saxons, les juges de paix de l’économie islandaise. L’objectif de rendement de 3,5% fait que les fonds de pension sont partie prenante des cures d’austérité des entreprises qui ont besoin de « dégraisser ». Cela passe bien en islande, pays sans chômage. Une situation impensable en France.
2- Les complémentaires islandaises et françaises sont analogues, toutes les deux fondées sur la capitalisation. Elles sont facultatives en Islande et obligatoires en France.
3- le pillier 3 est très généreux. Il réunit toutes les aides, et permet aux hommes et aux femmes dont la retraite est faible d’avoir des revenus équivalents. Cette générosité est rendue possible par le fait que les retraités sont proportionnellement beaucoup moins nombreux qu’en France, mais aussi par le fait que les Islandais travaillent jusqu’à 67 ans, et très souvent jusqu’à 70 ans.
Lorsque le système de retraite des fonctionnaires a été changé, ceux qui cotisaient déjà se sont vus proposer le choix entre rester dans l’ancien système ou choisir le nouveau. En simplifiant:
-L’ancien système accordait la retraite à 65 ans, une reversion à vie de 50%au veuf ou à la veuve, et une pension fondée sur le dernier salaire (y compris les primes).
-Le nouveau système accorde la retraite à 67 ans, une reversion pendant 2 ans après le décès du conjoint, et une pension fixée sur le nombre de points.
Et c’est ici que les différences culturelles entre les deux pays apparaissent. Qu’arriva-t-il? Les fonctionnaires choisirent en masse le nouveau système! Difficile à comprendre en France!
Pourquoi? Parce que les cotisations du nouveau système tiennent compte des heures supplémentaires, alors que l’ancien système ne tient compte que du salaire de base. Mais les deux années d’activité suppémentaires sont apparues posivives. Il y a en islande une véritable angoisse de la cessation d’activité. En France, on attend la retraite avec délectation. En Islande, on la redoute avec angoisse. Il faut dire que de nombreux Islandais, au moment de prendre leur retraite, sont encore fortement endettés.
Beaucoup d’enseignants, ont depuis regretté leur choix. La réduction à 3 ans des années de lycée ont réduit drastiquement les heures supplémentaires. Les couples de fonctionnaires retraités n’ont plus qu’à espérer que le conjoint qui a choisi le nouveau système meure avant l’autre!
Merci pour toutes ces précisions. C’était vraiment le bon moment pour donner tout son intérêt à cet article. Merci encore.
Bel article. La complexité pragmative et créative islandaise à comparer à l’EPR compliqué français. A moins que j’ai lu trop vite ??