Généalogie à l’islandaise

Après d’austères réflexions sur l’Islande et l’Espace Économique Européen, revenons au sourire avec cette information recueillie dans la presse :

Le Samband ungra sjálfstæðismanna (SUS – association des jeunes du Parti de l’Indépendance), creuset des futurs dirigeants d’un parti politique encore dominant, s’est réuni du 20 au 22 septembre à Akureyri et a renouvelé sa direction à l’issue de ses travaux. Ont été élu(e)s Présidente Halla Sigrún Mathiesen et Vice Président Páll Magnús Pálsson…

Halla Sigrún Mathiesen ?  Elle est la fille de Árni M. Mathiesen, ministre des Finances (Parti de l’Indépendance) de 2005 à 2009, lui-même fils de Mathias Á. Mathiesen, ancien ministre. Árni est notamment connu pour une conversation téléphonique orageuse avec Alistair Darling, son homologue britannique, le 7 octobre 2008, à l’issue de laquelle celui-ci donnera le coup de grâce au système bancaire islandais en inscrivant notre île sur la liste des organisations terroristes mondiales et fera saisir manu militari les derniers actifs de Landsbanki sur sa propre île.

Et Páll Magnús Pálsson ?  Il est le fils de Páll Magnússon, député depuis 2016 (Parti de l’Indépendance), lui-même fils de Magnús H. Magnússon, ancien ministre. Avant d’être élu à l’Alþingi, Páll Magnússon était Directeur Général de RÚV (radio et TV nationale) et est actuellement de très méchante humeur car il n’est pas ministre !  L’auteur de l’article se fait encore plaisir en précisant que la fiancée de Páll le jeune est la fille d’un premier mariage de Ágústa Johnson, aujourd’hui épouse de Gunnlaugur Þór Þorðarson, Ministre des Affaires Etrangères (Parti de l’Indépendance).

Cette quasi consanguinité n’est pas en Islande une spécialité du Parti de l’Indépendance mais y est plus fréquente que dans d’autres partis. On pourrait la compléter d’une multitude d’exemples, le plus célèbre étant les Engeyingar (famille de Bjarni Benediktsson, président de ce parti, ainsi nommés car l’île Engey est le berceau de la dynastie). Ces liens sont le plus souvent rapportés avec le sourire et même de la fierté, comme une caractéristique de la société islandaise. D’autres s’en agacent, au point d’en paraître gênés comme s’il s’agissait d’une preuve de sous-développement.

L’Islande n’est évidemment pas seule à connaître ce type de situation. Mais elle est nécessairement beaucoup plus fréquente quand la population est peu nombreuse. Encore plus si celle-ci (80000 seulement au début du XXème siècle) est sortie de la misère grâce à quelques entrepreneurs audacieux qui ont associé responsabilités économiques et politiques, et dont certains descendants ont su rester au premier plan. Tous se connaissent, sont cousins, sont allés dans les mêmes lycées où pendant quatre ans l’engagement au service de la communauté a été valorisé. Pourtant, même si comme ailleurs il est plus facile de progresser si l’on est fille ou fils de…, cette élite n’est pas imperméable. Et les exemples sont nombreux de réussite d’enfants de pêcheurs ou de fermiers…  qui s’empressent de fonder à leur tour une dynastie !

L’Islande dans l’Espace Économique Européen – le rapport de Björn Bjarnason

La loi autorisant l’adhésion de l’Islande à l’Espace Économique Européen (EEE) qui, outre notre île, associe étroitement aux pays de l’UE, le Lichtenstein et la Norvège, a été votée le 12 janvier 1993 et est entrée en application le 1er janvier de l’année suivante ; non sans mal tant ont été violentes les manifestations d’hostilité, à l’Alþingi mais aussi dans la rue.

25 ans après, Guðlaugur Þór Þorðarsson, Ministre des Affaires Étrangères (Parti de l’Indépendance) a confié à Björn Bjarnason, ancien ministre, lui aussi du Parti de l’Indépendance, la mission de diriger un groupe de travail sur les avantages et inconvénients de cette adhésion. Ce pouvait être inquiétant pour les personnes qui lui sont favorables. Ministre des Affaires étrangères depuis janvier 2017, Guðlaugur Þór n’avait pas manqué une occasion de vilipender l’UE et parfois l’EEE à l’aide d’arguments parfois surprenants, et manifesté un intérêt envieux pour le Brexit, avant une sensible inflexion au cours de ces derniers mois. Björn, à l’instar de la vieille garde du Parti de l’Indépendance, passait lui aussi pour très frileux sur le sujet. Par contre il est connu pour sa grande culture politique et son honnêteté intellectuelle.

Björn

Le rapport fait 302 pages !  Dans son introduction Björn insiste sur le fait que l’objectif du rapport n’est pas de prendre position pour ou contre l’adhésion à l’EEE, mais d’apporter des informations aux décideurs. Pourtant, dès les premières lignes, après avoir précisé que le groupe de travail a rencontré 147 personnes concernées d’une manière ou autre par le sujet, il ajoute : « en bref, toutes les personnes que nous avons rencontrées se félicitent de la présence de l’Islande dans l’EEE, hormis les membres de l’Association « Frjálst land » (Pays libre). Elle représente un apport important pour tous ceux qui travaillent dans les domaines qu’elle couvre. »

Les électeurs ne sont pas si unanimes : selon un sondage cité dans le rapport et publié dans le 21 juin 2019, 55.2% des personnes interrogées se disent satisfaites ou très satisfaites de cette adhésion, 32.9% sont partagées et 11.8% en ont une vision négative. Il est vrai que seul un gros tiers des personnes sondées dit bien connaître le contenu de l’accord, alors que 20% reconnaissent leur ignorance.

Plus intéressantes encore sont les raisons de ces choix : 49% de ceux qui sont favorables à l’accord le sont parce qu’il ouvre des débouchés économiques, mais 23% seulement pour les possibilités d’études et d’emploi sur tout l’Espace et 8% pour la coopération européenne. L’EEE est donc pour eux un accord commercial avant tout, alors qu’il s’agit de toute autre chose. Les opposants le sont à 31% à cause de la perte d’indépendance et 15% à cause de la lourdeur des règles.

Passons au niveau de la classe politique. Les débats autour du Troisième Paquet de l’Énergie, dont l’acceptation résulte de l’adhésion à l’EEE, révèlent un profond décalage, et préoccupant, avec ce qui précède. Si après le psychodrame collectif dont j’ai fait état ici et dans mes chroniques à plusieurs reprises, le texte a été largement approuvé (46 voix pour, 13 contre et 4 abstentions), le soutien a été bien plus fort du côté de l’opposition, à l’exception des deux partis « populistes», que de la part des trois partis au pouvoir, qui ont fait un choix de raison, soucieux avant tout de ne pas casser leur alliance. Même le soutien de Katrín Jakobsdóttir a été discret. Quant au Parti de l‘Indépendance, malgré l’approbation immédiate et courageuse de Þórdís Kolbrún Gylfadóttir, Ministre de l’industrie et Vice Présidente du parti, il a fallu, semble-t-il, l’intervention de Björn Bjarnason – peut-être converti par son propre rapport ! – pour que le « oui au texte » l’emporte après, voici un peu plus d’un an, une violente diatribe de Bjarni Benediktsson, son président. Peut-être est-ce à cause de la pusillanimité de ces dirigeants que ce remarquable rapport est malheureusement passé inaperçu, ou presque, au lieu de susciter le débat que mérite le sujet !

Voici qui illustre comment en Islande – et ailleurs ! – une grande partie de la classe politique, celle justement qui a toujours exercé le pouvoir depuis l’indépendance de l’île, est à la traîne de l’opinion alors que celle-ci est désorientée et demande qu’on l’éclaire à un moment où elle se sent à la croisée des chemins. Ce qui explique un malaise croissant exprimé par deux dissolutions et les mouvements sociaux du début d’année…

…et explique aussi, en partie, qu’une grande partie des Islandais se soient laissés berner par Sigmundur Davíð Gunnlaugsson à propos du Troisième Paquet !  J’y reviendrai.

Deux Islandais parmi les 25 meilleurs artistes plasticiens du 21ème siècle ?

The Guardian est dans sa période classements : « 100 meilleurs films du 21ème siècle », « 100 meilleures séries »… Bien sûr de tels classements sont subjectifs, contestables même quand je n’y retrouve pas les films ou séries qui m’ont le plus marqué. Mais l’objectivité et la qualité d’un tel classement me deviennent évidents lorsque, parmi les 25 artistes (pourquoi seulement 25 ?) cités dans The Best Art of the 21th century, je trouve deux Islandais, et à quelles places !

Ragnar dans son bain… (The Visitors)

N° 1 : Ragnar Kjartansson, avec The Visitors (2012), présenté notamment à Toulouse en 2016,

N° 11 : Ólafur Elíasson avec The Weather Project présenté à la New Tate Gallery de Londres en 2011,

Weather Project

Tous deux ont eu l’occasion de présenter leurs installations en France, par exemple Ólafur lors de l’ouverture de la Galerie Vuitton en 201, et Ragnar à Toulouse et au Palais de Tokyo à Paris en 2016.

Ils reviendront !!!

Seulement parce que c‘est une femme ?

Le Parti de l’Indépendance a approuvé la décision de Bjarni son président : Áslaug Arna Sigurbjörnsdóttir, Secrétaire Générale du parti, sera la nouvelle Ministre de l’Intérieur à la place de Þórdís Kolbrún  qui assurait l’intérim de la fonction en même temps que celle de Ministre de l’Activité économique et du Tourisme depuis le départ contraint de Sigríður Andersen. Paradoxalement le choix de cette jeune femme de 29 ans est mieux accueilli par les alliés du Parti de l’Indépendance au gouvernement, ainsi que dans l’opposition, que dans son propre parti où beaucoup se demandent ce que Áslaug, plus jeune ministre depuis la proclamation de la République, a de plus qu’eux pour tenir un poste très exposé.

Sólveig et Áslaug

Une réponse possible vient d’une autre femme – et féministe – : Sólveig Anna Jónsdóttir, Présidente du syndicat Efling, à la pointe des mouvements sociaux de cet hiver : « faut-il choisir comme ministre de l’intérieur une personne de convictions néolibérales, réactionnaire pour ce qui concerne l’accueil des étrangers, seulement parce que c’est une femme ? (…). En tant que femme engagée depuis longtemps, je ne comprends rien à cela ! »

Voici qui a du plaire aux caciques du Parti de l’Indépendance !

Katrín et Mike

L’observation de l’Islande Aujourd’hui me conduit souvent à rencontrer des personnages ignorés ailleurs, ainsi ce Mike Pence, Vice-Président des États-Unis, auquel Donald Trump ne doit pas laisser beaucoup de place. Assez toutefois pour l’envoyer en Europe, et chemin faisant faire un stop-over de 8 heures en Islande à l’invitation de Guðlaugur Þór Þorðarson, Ministre des Affaires Étrangères. 8 heures bien remplies, puisqu’il a rencontré, outre le ministre, le Président Guðni Jóhannesson, Dagur Eggertsson, Maire de Reykjavík, et parlé à la presse, pendant que les rues principales de Reykjavík était fermées à la circulation.

Selon les autorités Islandaises, l’objet de l’escale était le développement des relations commerciales puisque l’ampleur du marché islandais vaut bien le déplacement d’un vice-président américain, mais on sentait bien que son président lui avait mis autre chose en tête, et qu’il n’a pas caché : « méfiez-vous des Chinois ! ».

Et, pour la rencontrer, il a accepté d’attendre Katrín Jakobsdóttir sur l’aéroport de Keflavík, elle arrivant de Copenhague par le vol du soir, lui devant embarquer dans son AirForce One et autres avions avec les 500 personnes de son escorte. Il n’avait pas échappé à Katrín que l’Américain est homophobe, climatosceptique, etc…  Elle a donc insisté sur ces sujets « importants pour son gouvernement » que sont le réchauffement climatique et les droits de l’homme, « droit dans les yeux » selon le Washington Post. Elle a aussi rappelé que, tout en étant membre de l’OTAN, l’Islande est une nation sans armée et entend le rester. On ne sait pas ce qu’a dit Mike, très pressé de partir.