Islande : résurrection du parti du Progrès ? (1)

Framsókn

Le 14 mai, en passant de 0 à 4 sièges sur 23 au conseil municipal de Reykjavík lors des élections locales, le Framsókn, nom familier pour Framsóknarflokkur (parti du Progrès) surprend jusqu’à ses dirigeants. Et il n’y a pas que Reykjavík : le Framsókn gagne de 1 à 2 sièges dans chacune des 6 autres communes de la région-capitale. Et au niveau national, de 8.5% des voix et 45 sièges en 2018, il passe à 18% et 67 sièges. Il confirme ainsi sa victoire aux élections législatives du 25 septembre 2021 (de 8 à 13 sièges), grâce à laquelle la majorité tripartite a pu se targuer d’une victoire (de 35 à 37 sièges) alors que la Gauche Verte a perdu 3 sièges et que le parti de l’Indépendance a gardé ses 16 sièges tout en perdant des voix. 

Résurrection du plus vieux parti d’Islande ?  C’est en tout cas un passionnant épisode d’une histoire bien tourmentée. Fondé en 1916, le Framsókn se veut parti agrarien, porte-parole politique des organisations paysannes, et très lié au mouvement coopératif, principale force économique de l’île jusqu’au début des années 1990. En conséquence il défend une vision administrée de l’économie. Mais voici que disparaissent les paysans et aussi, sous les coups du parti de l’Indépendance, le mouvement coopératif (voir mon article du blog à ce propos). Après avoir donné à la politique islandaise quelques figures emblématiques, notamment Hermann Jónasson, Président du parti de 1944 à 1962 et ministre ou Premier ministre de 1934 à 1958, et son fils Steingrímur Hermannsson, Premier ministre de 1983 à 1991, le Framsókn paraît désorienté et vire vers le libéralisme au point que ses orientations se distinguent mal de celles du Parti de l’Indépendance, peut-être pour en rester l’allié naturel.

Sigmundur Davíð

En janvier 2009 Sigmundur Davíð Gunnlaugsson s’empare de sa présidence après trois mois d’adhésion. Malgré les prises de position très populistes de ce dernier le Framsókn ne semble pas en mesure de progresser très au-delà des 15% obtenus en 2009. Or voici que le jugement favorable, et inattendu, de la Cour de Justice de l’AELE à propos de l’agence bancaire Icesave, connu en janvier 2013, vient légitimer aux yeux de l’opinion islandaise l’opposition systématique de Sigmundur Davíð à tout compromis et ses positions les plus étroitement nationalistes et démagogiques. C’est ainsi qu’aux élections législatives de 2013 le Framsókn est porté à un niveau jamais atteint : 24.4% et 19 députés au lieu de 14.8% et 9 députés quatre ans auparavant !

Sigurður Ingi Jóhannsson entouré des ministres Lilja Alfreðsdóttir et Ásmundur Einar Daðason

Las, voici que devenu Premier ministre Sigmundur Davíð est pris dans le scandale des Panama papers. Il doit quitter son poste et le laisser à son vice-président Sigurður Ingi Jóhannsson, en attendant qu’aient lieu de nouvelles élections législatives. Mais il est aussi poussé vers la sortie de son parti et fonde le parti du Centre, que son populisme place vite à l’extrême droite. Son choix d’abord paraît le bon : en 2017 le nouveau parti fait jeu égal avec le Framsókn en voix. Ce dernier perd 11 de ses 19 sièges, alors que le parti du Centre en gagne 7. Simultanément apparaît le parti du Peuple qui à la surprise générale obtient 4 sièges. Son apparente proximité avec le parti du Centre est telle que Sigmundur Davíð parvient à attirer deux de ses députés vers son propre mouvement ce qui en fait le deuxième parti de l’Alþingi et un opposant violent, pendant que le Framsókn avec ses trois ministres (photo) semble perdre du terrain pendant une bonne partie de la législature 2017-2021. Le retournement est perceptible au cours des derniers mois de celle-ci, mais son amplitude surprend : le Framsókn passe de 8 à 13 députés et le parti du Centre de 9 à 3, dont un va immédiatement rejoindre le parti de l’Indépendance. Autre résultat, important pour l’analyse : le parti du Peuple obtient 6 sièges au lieu des 2 qui lui restaient.

Résurrection durable ?  Retour de flammes sans suite, dont la vie politique islandaise, nécessairement très personnalisée, est coutumière ?  Pour tenter un pronostic il importe de démêler l’écheveau des causes possibles : habileté des nouveaux dirigeants du Framsókn et qualité de leurs choix ? personnalité de Sigurður Ingi, excès de Sigmundur Davíð ? le tout sur fond de Covid…  Ou plus profondément : révérence faite à un parti politique intimement associé aux valeurs traditionnelles islandaises, en même temps que proximité avec le concept d’« habitabilité » cher à certains écologistes (voir mon article de blog à ce propos) ?

Laissez-moi le temps d’y réfléchir avant un deuxième article…

Élections locales en Islande : à chaud !

Je sais que tous les lecteurs de ce blog sont avides de connaître les résultats des élections locales qui ont eu lieu samedi dernier. Les voici, à chaud !

Ce 14 mai en effet les Islandais et étrangers en ayant le droit (tous ressortissants des pays Nordiques et les autres étrangers ayant 3 années de séjour sur l‘île) pouvaient voter pour le renouvellement des conseils des 69 collectivités territoriales de l’île, soit 277127 inscrits. Dont la répartition est très déséquilibrée, allant de 100405 pour Reykjavík et 177815 si l’on inclut les collectivités formant la région de la capitale, à quelques dizaines dans certaines collectivités, par exemple 5259 inscrits dans les 9 collectivités des fjords de l’ouest et nord-ouest. On comprend que dans celles-ci les choix se fassent plus en fonction des relations interpersonnelles que selon les étiquettes partisanes. C’est pourquoi il y a un bon nombre de listes locales et parfois une seule liste.

De telles disparités rendent toute analyse nationale peu significative. Cette année pourtant les résultats se caractérisent par une remarquable victoire du parti du Progrès, déjà visible à l‘occasion des élections législatives du 25 septembre. J’y reviendrai dans un prochain article. Voyons aujourd’hui quelques résultats locaux, notamment ceux de Reykjavík.

Dagur ; « tout n’est pas perdu: »

Voici quatre ans le maire Dagur B. Eggertsson (Alliance Social-démocrate) avait dû pour garder son poste[1] composer une alliance associant Redressement, les Pirates (2 sièges chacun), et la Gauche Verte (1 siège) aux 7 que sa liste avait obtenus, soit 12 sièges sur 23. Majorité « improbable » mais que Dagur avait été assez habile pour faire durer. Au prix peut-être de trop de compromis ?  Sa liste perd 2 sièges et Redressement 1, alors que les Pirates passent de 2 à 3 sièges, assez loin de ce qu’ils espéraient. Quant à la Gauche Verte, parti de la Première Ministre, elle réussit, tout en perdant des voix, à préserver son seul siège. Donc Dagur a perdu. Tout comme son principal opposant, le parti de l’Indépendance, qui tombe de 8 à 6 sièges, mais garde le droit de dire qu’il est encore le premier parti de la capitale, longtemps sa chasse gardée. On a compris que le vainqueur est le parti du Progrès, qui de 0 siège passe à 4, d’une telle ampleur que sa tête de liste Einar Benediktsson s’en dit surpris. Le voici donc maître du jeu.

Einar entouré des ministres Lilja Alfreðsdóttir et Ásmundur Einar Daðason

Mais il n’y a pas que Reykjavík : le Framsókn (petit nom pour Framsóknarflokkur – parti du Progrès) gagne de 1 à 2 sièges dans chacune des 6 autres communes de la région-capitale. Au niveau national, de 8.5% des voix et 45 sièges en 2018, il passe à 18% et 67 sièges !  Seul Akureyri échappe partiellement à la vague, ce qui est d’autant plus étonnant que le nord de l’île a été le berceau du mouvement coopératif islandais et que le parti du Progrès, alors agrarien, était son expression politique ! La liste locale obtient 18.7% des voix et 3 des 11 sièges, suivie par le parti de l’Indépendance 18% et 2 sièges, comme le parti du Progrès 17% et 2 sièges. Quatre autres partis obtiennent chacun 1 siège.

Étonnante résurrection que celle du Framsókn, plus vieux parti politique de l’île, proche de la disparition voici quelques mois, après la scission de Sigmundur Davíð Gunnlaugsson et son parti du Centre. Elle tient beaucoup à la personnalité bonhomme de son président Sigurður Ingi Jóhannsson, malgré une énorme bourde raciste rapportée ici (voir Bruit et Fureur en Islande) et qui l’a contraint à se mettre en retrait ; elle tient aussi au travail des deux autres ministres du parti présents dans le précédent gouvernement et au choix d’un positionnement très centre-social.

Une histoire passionnante, sur laquelle je reviendrai le mois prochain.

Autre constat : la progression de l’abstention, de 32% en 2018 à 37%. C’est un problème, surtout si l’on considère l’importance de la décentralisation et de la vie locale en Islande. Même à Reykjavík où la bataille s’annonçait chaude autour d’enjeux importants pour l’avenir de la ville (logements, transports en commun…), le taux de participation n’a été que 61.1%, soit une chute de 5.9%. Certes les bureaux de vote se sont vidés en fin d’après-midi au moment de la prestation du groupe islandais à l’Eurovision, mais cette explication est insuffisante !

Et puis il y a évidemment eu un tremblement de terre, annonciateur probable d’une nouvelle éruption volcanique !


[1] En Islande le Maire est choisi par le Conseil Municipal soit en son sein soit sur appel public de candidatures

Bruit et Fureur en Islande…

Bjarni, Katrín et Sigurður Ingi, en d’autres temps !

Est-ce la sortie de l’hiver, évidemment bienvenue ?  La société islandaise est toute en agitations, notamment au spectacle qu’offrent deux de ses ministres et non des moindres.

Sigurður Ingi et la couleur de Vigdís

Vigdís

Ainsi des propos racistes de Sigurður Ingi Jóhannsson, ministre des Infrastructures. Le parti du Progrès, qu’il préside, est né en 1916 comme parti agrarien et l’a toujours été jusqu’à la quasi disparition des paysans. Mais la Chambre d’Agriculture est maintenant dirigée par des membres du parti de l’Indépendance, tant Gunnar Þorgeirsson, son Président que Vigdís Häsler, sa Directrice administrative, d’origine indonésienne. Sigurður Ingi est de mauvaise humeur et accompagne de propos jugés racistes son refus de figurer sur une photo avec les dirigeants de la chambre. Vigdís se dit insultée. Le scandale est énorme, attisé par les dénégations de Ingveldur Sæmundsdóttir, directrice de cabinet du ministre « non, je n’ai rien entendu », quelques minutes avant que Sigurður Ingi s’excuse devant la presse : « de ma vie j’ai toujours considéré toutes les personnes comme égales ». Le 7 avril, Vigdís et Sigurður Ingi se rencontrent, et Vigdís publie un communiqué selon lequel l’affaire est close. Pour elle !  Car l’opposition ne manque pas cette occasion pour demander la démission du ministre. Comme le permet la constitution Sigurður Ingi est aussi député. A ce titre il devra répondre devant la présidence de l’Alþingi du non-respect de l’éthique à laquelle tout parlementaire doit s’engager.

Bjarni et son père

Au même moment un autre ministre est attaqué. Bjarni Benediktsson, ministre des Finances et président du parti de l’Indépendance, veut depuis longtemps, malgré une hostilité générale, vendre une partie des participations gardées par l’État dans la banque Íslandsbanki, anciennement Glitnir, mise en faillite lors de la crise 2008. Mais cette vente de 22.5% des actions détenues par l’État, réalisée par la Commission de Gestion des Banques que dirige un ami très proche du ministre, paraît suspecte. Sous le nom de fonds qu’ils dirigent des particuliers auraient acheté des actions dans des conditions avantageuses, ainsi que des salariés de la banque. Lorsqu’enfin, après de longues tergiversations, la liste en est connue, le scandale est patent. Y sont la plupart des « business vikings » dont les noms rappellent aux Islandais les très mauvais souvenirs de la crise financière de 2008, et parmi eux Benedikt Sveinsson, le père du ministre. Bjarni s’étonne : il avait pourtant demandé aux membres de sa famille, qui passe pour la plus riche de l’île, de ne pas souscrire à cette vente !

Résultat : selon un sondage Maskina du 12 avril, chacun des trois partis au gouvernement perd environ 2 points d’intentions de vote, et théoriquement leur majorité. Pour le grand bien de l’Alliance Social-démocrate (+4%) et surtout des Pirates (+7%) qui, avec près de 18% des intentions de vote, dépassent le parti du Progrès. Mais nous savons les Islandais peu rancuniers ; il est probable que ces partis retrouveront vite leur niveau antérieur.

Et il n’y pas que les ministres…

Sólveig Anna

Car il est une Islandaise rancunière : Sólveig Anna Jónsdóttir, présidente du syndicat Efling, qui avec ses 30000 adhérents, est le deuxième syndicat islandais. En conflit avec les représentants des salariés du syndicat, elle a démissionné en novembre 2021 (voir chronique de ce mois). Réélue en février avec 54% des voix des adhérents, elle est claire : « nous sommes là pour servir les intérêts de nos adhérents, les salariés du syndicat qui ne sont pas d’accord avec sa présidente peuvent aller ailleurs ! » Et parce qu’ils ne partent pas assez vite, elle annonce, le 11 avril, un licenciement collectif de tous (plus de 50 !) ces salariés. Ceux-ci en reçoivent la confirmation dès le lendemain. Du jamais vu, même en Islande où la législation sur les licenciements est peu contraignante, et un bel exemple pour les employeurs !  Réélue Vice-présidente en février, Agnieszka Ewa Ziółkowska reçoit elle aussi sa lettre. Et s’inquiète : «  Sólveig Anna va-t-elle s’autolicencier ? »

Guðríður et les blancs

Revenons au racisme : Bryndís Björnsdóttir og Steinunn Gunnlaugsdóttir, artistes plasticiennes, ont volé sur la côte sud du Snæfellsnes une célèbre statue de Ásmundur Sveinsson représentant, portant son enfant, Guðríður Þorbjarnardóttir, cette femme dont les Islandais(e)s sont si fièr(e)s, car non contente d’être la première européenne à avoir posé le pieds sur le sol américain, d’avoir fait fuir les Indiens en se dépoitrayant, elle a donné naissance au « premier enfant blanc ». Le projet de Bryndís et Steinunn est d’envoyer Guðríður sur la lune dans une fusée de leur fabrication pour qu’elle y reproduise le même exploit.

Rien de ce qui précède n’est terminé. J’y reviendrai donc dans ma prochaine chronique, peut-être même avant !

Et au milieu de ce tumulte admirons ces trois enfants arrivés parmi les 600 Ukrainiens qui à ce jour ont été accueillis en Islande.

Armer l’Islande ?

Le 5 mars Baldur Þórhallson, professeur de sciences politiques à l’Université d’Islande, jette un pavé dans la mare : « la présence d’une armée en Islande pourrait dissuader des ennemis de l’envahir ». Las, la mare tremble peu. Tout au plus relève-t-on que, selon un sondage Gallup du 14 mars, l’opposition à l’adhésion à l’OTAN passe de 13% (2001) à 9%, alors que les opinions favorables restent au même niveau de 75%.

C’est l’occasion de faire le point. Traditionnellement les Islandais se veulent un peuple pacifique. Mais ont-ils d’autres choix ?

Une des caractéristiques, extraordinaire, de la colonie créée à partir de 874, date officielle, est l’absence de pouvoir exécutif : ni roi, ni armée. Chaque colon défend son territoire avec l’aide éventuelle, grassement rémunérée, du goði auquel il a fait allégeance. Mais l’île est largement ouverte, d’autant plus difficile à défendre que très vite manque le bois nécessaire à la construction de bateaux. La soumission aux rois de Norvège puis de Danemark n’y change rien. L’île est régulièrement visitée par des bateaux venus y faire du commerce. L’abordent aussi des pêcheurs et chasseurs de baleine en manque de vivres, qui ne sont pas toujours accueillis de manière très amicale par des habitants eux-mêmes faméliques. La question de la défense de l’île est brutalement posée en 1627 lorsque quatre navires venus d’Afrique du Nord sèment la terreur en plusieurs lieux, notamment Vestmannaeyjar, dont ils capturent plus de 250 habitants pour en faire des esclaves et en tuent 30 à 40. Mais la question reste sans réponse. Celle-ci d’ailleurs dépend du roi, auquel les Islandais paient l’impôt. Mais on entend aussi, déjà, la fierté d’être un peuple pacifique vivant sur une île ouverte.

Cette fierté est évidemment mise à mal lorsque le 10 mai 1940, sans même avoir prévenu les autorités locales, 28000 Britanniques occupent l’île pour que les Allemands ne le fassent pas. Ils sont remplacés en juillet 1941 par deux fois plus d’Américains qui promettent de partir dès la fin des hostilités. Promesse qu’ils ont du mal à tenir, et qui conduira en 1949 à l’adhésion de l’Islande à l’OTAN malgré de violentes manifestations. L’armée américaine part puis revient sur la base de Keflavík, et elle la quittera en septembre 2006 par souci d’économie et en dépit d’un accord renouvelé peu auparavant par lequel un tel départ ne pouvait avoir lieu que si les deux parties y consentaient.

Violents, les Islandais le deviennent entre 1952 et 1975 lorsqu’il s’agit, non de défendre, mais d’étendre leurs zones de pêches jusqu’à 200 milles marins. Ils font alors preuve d’un art consommé de la bataille navale, au point que la Royal Navy doit abandonner la partie estimant que la défense de quelques chalutiers écossais lui est trop coûteuse.

Þórdís Kolbrún et Mariusz Błaszczak,
ministre polonais de la Défense

Aujourd’hui l’adhésion à l’OTAN se manifeste par le stationnement à Keflavík, à tour de rôle, de quelques avions envoyés par des pays de l’Alliance ; et bien évidemment la participation de Þórdís Kolbrún Reykfjörð Gylfadóttir, tout à la fois ministre des Affaires Étrangères et de la Défense, à toutes les réunions de l’Alliance, ainsi qu’à celles du Conseil Nordique.

Partis de manière très cavalière en 2006, les Américains semblent aujourd’hui regretter leur décision. Il s’agissait alors de prendre acte du fait qu’à l’ère des armes modernes une tête de pont au milieu de l’Atlantique ne leur était plus nécessaire. Depuis lors l’océan Arctique est devenu objet de convoitises tant pour ses ressources que comme lieu de passage.

Mais l’agressivité des Russes justifierait elle leur retour en force ?  C’est ce que semble souhaiter Baldur, pour qui quelques régiments, non seulement à Keflavík, mais aussi en certains lieux jugés stratégiques de l’île, pourraient avoir un effet dissuasif.

L’idée est balayée d’un revers de main par Albert Jónsson, ancien ambassadeur aux États-Unis et spécialiste des questions de défense. Si dans l’hypothèse d’une 3ème guerre mondiale les Russes voulaient détruire la base de Keflavík, ils enverraient plus volontiers un missile balistique qu’un sous-marin. À quoi servirait une poignée de soldats ?

Donc on ne change rien. Tel est le discours du gouvernement, approuvé, comme le montre le sondage cité plus haut, par les îliens.

 Curieusement, selon ce même sondage,  c’est l’opinion à l’égard d’une éventuelle adhésion à l’UE qui évolue le plus : de 59% en 2010, le nombre de personnes hostiles à cette adhésion tombe à 33%, alors que 47% lui sont favorables contre 26% en 2010. Cette fois, Bjarni Benediktsson, président du parti de l’Indépendance et ministre des Finances, sort de son silence pour s’agacer : est-ce vraiment le moment de ressortir cette question alors que tout va si bien ?

L’Islande et la social-démocratie

Je lis récemment une enquête du journal Le Monde daté du 22 janvier sur le renouveau de la social-démocratie dans les pays scandinaves. Pays scandinaves ?  L’Islande n’a pas à y être !  Oui mais dans un encart « les pays nordiques sous pavillon rose » les auteurs citent aussi la Finlande, et joignent la Norvège aux pays de l’UE (sic). Où Le Monde célèbrerait le fait que quatre pays nordico-scandinaves ont un premier ministre social-démocrate, dont trois femmes !

Premiers Ministres selon l’aiguille d’une montre : Jonas Gahr Store (Norvège), Mette Frederiksen (Danemark), Magdalena Andersson (Suède), Sanna Marin (Finlande)

C’est le moment de renouveler la question : pourquoi la social-démocratie n’a-t-elle jamais été dominante en Islande ?

Il y a aujourd’hui une « Alliance Social Démocrate » (Samfylkingin), dans l’opposition avec 6 députés dans l’Alþingi élu le 25 septembre 2021 ; et une représentation en dents de scie, 20 députés en 2009, 3 en 2016, 7 en 2017…

Cette alliance est issue d’une histoire tourmentée surtout marquée, pour ce qui concerne l’après-guerre, par le souci de proposer une alternative de gauche à la toute-puissance du parti de l’Indépendance souvent associé au parti du Progrès. Deux partis essaient d’occuper l’espace politique qui reste : le parti du Peuple (Alþýðuflokkur) et l’Alliance du Peuple (Alþýðubandalag). Le premier, né en 1916, et voulu comme équivalent des partis sociaux-démocrates nordiques, reste autour de 10 à 15% jusqu’à sa disparition en 1998. Quant à l’Alliance du Peuple, fondée en 1956, elle regroupe des dissidents du parti du Peuple, le parti Socialiste (communiste), et des dirigeants du puissant syndicalisme salarié fédéré dans la confédération ASÍ. Son audience est en moyenne comparable à celle du parti du Peuple. Les deux organisations vont se regrouper en 1998 et s’associer d’autres mouvements tels le parti des Femmes pour donner naissance à l’Alliance Social-démocrate, que trois députés vont immédiatement quitter pour créer la Gauche Verte. Ce qui les distingue alors est surtout l’adhésion à l’UE, voulue par l’Alliance Social-démocrate mais rejetée par la Gauche Verte. Pourtant ils parviennent à surmonter leurs divergences pour être ensemble au pouvoir de 2009 à 2013. Mais leurs relations sont tumultueuses, et c’est bien ce tumulte qui explique la déconsidération dans laquelle ils sont tombés malgré une sortie de crise remarquable.

Logi

Qu’est-ce qui les distingue aujourd’hui, alors que l’un dirige le gouvernement avec Katrín Jakobsdóttir, et l’autre, dirigé par Logi Einarsson, est dans l’opposition ?  L’adhésion à l’UE ?  Oui, officiellement, mais qui en parle encore ?   L’écologie ?  Celle-ci est officiellement portée par la Gauche Verte, mais cette dernière est visiblement bridée par le parti de l’Indépendance, dans le nouveau gouvernement plus encore que dans l’ancien, alors que tous les autres partis s’en sont emparés. De plus ces deux partis ont été clairement défaits lors des dernières élections législatives : l’Alliance de 7 à 6 députés et la Gauche Verte de 11 à 8, soit aujourd’hui un total de 14 députés sur 63.

Alors l’Islande serait-elle une exception parmi les pays nordiques ?

La doctrine social-démocrate nordique est gardée par une organisation appelée SAMAK, qui rassemble les partis socio-démocrates de ces pays et les confédérations syndicales qui leur sont proches, soit pour l’Islande l’Alliance Social-démocrate et l’ASÍ. En voici les « Trois Piliers» (voir ici). On notera que les marchés y restent présents, comme outils de régulation et non de pilotage.

Le renouveau évoqué dans Le Monde tient au choix de mettre clairement ces trois piliers au service des « classes laborieuses » (« plus de solutions collectives et moins d’expériences de marché » selon Magdalena Andersson – Suède), en rupture avec le virage voulu en fin de siècle dernier par Tony Blair et alors suivi par les pays Nordiques.

A ces trois piliers il convient d’ajouter évidemment l’écologie, mais aussi le choix récent d’être restrictifs sur l’immigration, et même vraiment très-très restrictifs pour ce qui concerne le Danemark, au point de vouloir externaliser l’asile : « une société avec un état-providence universel n’est pas compatible avec une politique migratoire ouverte » (Mette Frederiksen – Danemark). Ses trois collègues sont moins brutaux, mais avec des taux d’immigration variant de 15 à 20%, ils sont sensibles au fait que celle-ci inquiète, car concurrence, les classes laborieuses plus que les classes bourgeoises. Mais ils savent aussi qu’il faut la conjuguer avec une natalité déclinante, d’où la nécessité d’une intégration de qualité. Car l’état-providence universel ne résistera pas plus au vieillissement de la population qu’au « grand remplacement » que Mette Frederiksen semble craindre.

Et l’Islande ?  A lire leurs déclarations, aucun des huit partis aujourd’hui présents à l’Alþingi ne contesterait les «Trois Piliers », même le parti de l’Indépendance de Bjarni Benediktsson. Les différences doivent être cherchées ailleurs :

  • le parti de l’Indépendance peut d’autant plus aisément faire siens les Trois Piliers que, au pouvoir depuis un siècle pratiquement sans discontinuer, et par ses réseaux dans la société civile, il a su monopoliser la « gouvernance » et casser toute structure qui lui ferait de l’ombre, notamment le mouvement coopératif,
  • le libéralisme qu’il porte, et auquel il a su associer des alliés, jusqu’à la Gauche Verte, a permis de conjuguer un bon niveau de prospérité et ce goût d’entreprendre auquel les Islandais sont viscéralement attachés, car il fonde une communauté à laquelle chacun doit être utile,
  • il n’empêche que, malgré les efforts et l’habileté de Bjarni et son équipe proche, l’audience de ce parti ne cesse de s’éroder sous l’effet d’exigences bien résumées par les Trois Piliers,
  • mais pour ce qui concerne ceux-ci, l’Alliance Social-démocrate est clairement concurrencée par d’autres partis, tels les Pirates… et aussi le plus que centenaire parti du Progrès, auquel Sigurður Ingi Jóhannsson a fait faire un virage porteur de remarquables résultats électoraux, au point qu‘il est en voie de concurrencer son vieux compagnon de route.

Et l’immigration ?  Ce n’est pas pour l’heure un sujet national apparent ; l’emploi ne manque pas, et il y a de réels efforts d’intégration. Mais au détour de telle ou telle décision plus bureaucratique qu’humaine on comprend que le Bureau de l’Immigration veille discrètement et que chacun s’en satisfait…